L’amylose à transthyrétine (TTR), qu’elle soit héréditaire ou sauvage, constitue désormais une cause bien identifiée de neuropathie périphérique sévère, coexistant avec une atteinte rénale, cardiaque et ophtalmologique.
L’amylose à TTR familiale débute fréquemment par l’atteinte des petites fibres nerveuses véhiculant la sensibilité thermo-algique et du système nerveux autonome, générant des symptômes invalidants pour les patients. Cette atteinte précoce était encore impossible à détecter paracliniquement au début des années 2000.
Céline Labeyrie, neurologue à l’hôpital Bicêtre (Kremlin-Bicêtre) au centre de référence des neuropathies amyloïdes familiales a répondu aux questions de Neurologies sur l’intérêt de l’intelligence artificielle pour quantifier ces petites fibres dans l’amylose TTR et de la portée de cet outil d’aide au diagnostic.
Propos recueillis par Léna Pedon et Cléo Derwel (journalistes)
Neurologies : Pourquoi faire une biopsie dans l’amylose ?
Céline Labeyrie : Le premier objectif est de mettre en évidence les dépôts d’amylose qui sont visibles anatomopathologiquement avec certaines techniques de coloration, comme le rouge Congo qui est le plus répandu. La présence de ces dépôts permet de faire le lien entre une atteinte d’organe, quelle qu’elle soit, le cœur, le nerf, et la présence d’une mutation amyloïdogène du gène de la TTR. En théorie, on ne peut pas parler d’une maladie amylose déclarée tant qu’on ne met pas en évidence un dépôt. Un autre intérêt de la biopsie de peau dans les neuropathies en général est la quantification de ces petites fibres nerveuses, qui ne sont pas explorables par l’électroneuromyogramme (ENMG) (à noter qu’il existe d’autres techniques d’analyse des petites fibres comme les potentiels évoqués laser [PEL], l’évaluation sensorielle quantitative [QST], le Sudoscan). L’analyse des petites fibres en biopsie de peau permet de les compter, mais aussi d’étudier leur morphologie sur la zone de peau prélevée. La biopsie de peau comporte également un intérêt pour l’étude des plus grosses fibres nerveuses si elle est réalisée en peau glabre.
Quels types de tissus peuvent être biopsiés dans l’amylose ? Pourquoi ?
Il existe deux manières de faire. La première consiste à prélever un tissu d’un organe atteint, par exemple une biopsie du myocarde ou une biopsie du nerf. Mais en général, ce sont des biopsies qui sont invasives, potentiellement risquées, et qu’on ne fera qu’en ultime recours en cas de doute diagnostique persistant, après la réalisation de biopsies moins invasives.
Les sites classiques dans l’amylose en général sont la biopsie des glandes salivaires accessoires (BGSA), la biopsie de graisse abdominale et la biopsie rectale. Est apparue depuis quelques années également la biopsie cutanée. Nous avons pris l’habitude, au centre de référence, de réaliser la BGSA et la biopsie de peau, parce qu’on a vu que cela avait une grande rentabilité, et qu’on pouvait les réitérer chez un même individu assez facilement. L’invasivité est minime et la réalisation technique est très simple, à la fois pour le médecin et pour le patient. Il suffit d’effectuer une petite anesthésie locale avec de la lidocaïne et de prélever 3 millimètres de diamètre de peau (Fig. 1). En revanche, l’analyse est plus laborieuse, en particulier pour la biopsie cutanée.
Sur quels sites peut-on réaliser la biopsie cutanée ?
Le site le plus recommandé internationalement, car celui où on dispose du plus de littérature, est la cheville, 10 centimètres au-dessus de la malléole. À l’hôpital Bicêtre, nous avons tendance à faire presque systématiquement également une biopsie au niveau de la cuisse, 20 centimètres en dessous de l’aile iliaque quelle que soit l’indication (amylose ou neuropathie des petites fibres), et au niveau du poignet 10 centimètres au-dessus de l’interligne du poignet pour l’amylose.
Quelles analyses sont réalisées sur le prélèvement de biopsie cutanée ? Comment ?
Pour la biopsie cutanée, outre les colorations effectuées pour la recherche d’amylose sur des coupes classiques de 7 µm (rouge Congo et coloration à l’hématoxyline, éosine et safran [HES] ± immunomarquage anti-TTR, Fig. 2), on effectue des techniques complémentaires sur des coupes plus épaisses de 50 µm, pour un marquage des petites fibres nerveuses avec un anticorps dirigé contre la protéine PGP 9.5 (Protein Gene Product), ± un deuxième marquage collagène IV pour visualiser la membrane basale afin de compter les fibres traversantes et évaluer la densité en petites fibres nerveuses intraépidermiques (DFNIE).
Figure 2 – Coupes de 7 µm de biopsie cutanée à la recherche d’amylose (ici un patient avec un variant Val30Met).
IHC : immunohistochimie, HES : coloration à l’hématoxyline, éosine et safran.
Quelle est la place de la scintigraphie osseuse dans la recherche de dépôt amyloïde ?
La découverte de la positivité de la scintigraphie osseuse au niveau du cœur dans les amyloses cardiaques a permis, avec de bonnes études de corrélation scintigraphie/anatomopathologie, de se dédouaner de la biopsie du myocarde dans la plupart des cas, sauf dans de rares cas de mutations peu fixantes.
En quoi les petites fibres nerveuses sont-elles concernées dans l’amylose TTR ?
L’altération de la perception de la température, la douleur neuropathique et les symptômes dysautonomiques sont dus à l’atteinte des petites fibres. Les phénotypes à début précoce p.V50M débutent classiquement par une atteinte élective de ces dernières.
Pour prouver l’atteinte des petites fibres nerveuses, la biopsie de peau est devenue aujourd’hui le Gold standard.
Comment réalisez-vous le comptage des petites fibres nerveuses ? Comment l’IA vous aide-t-elle à cette fin ?
Les recommandations internationales reposent sur la lecture visuelle très codifiée de la densité en petites fibres nerveuses sur des biopsies de peau. Par exemple, elles indiquent de compter celles qui se divisent en dessous ou au niveau de la membrane basale et non au-dessus (Fig. 3). C’est un travail extrêmement long et fastidieux, qui peut prendre jusqu’à 1 heure et demie par patient, et qui est très difficile à développer dans les laboratoires d’anatomopathologie aujourd’hui, essentiellement du fait du manque de temps humain.
On va pouvoir ensuite calculer une densité en rapportant le nombre de fibres à la longueur de membrane basale étudiée (en général 3 coupes de 3 mm par niveau), et rapporter celle-ci aux normes adaptées à l’âge et au sexe pour la technique utilisée afin de déterminer si elle est normale, subnormale ou effondrée. Si elle est abaissée de manière significative, on parle d’une neuropathie de petites fibres avec déficit quantitatif.
À l’hôpital Bicêtre, nous avons la chance d’avoir un scanner de lame depuis plusieurs années, qui permet de numériser les lames de biopsie de peau et de les annoter sur un ordinateur.
Nous avons pu commencer à annoter les fibres et à réfléchir à l’automatisation de ce décompte en travaillant avec une entreprise d’intelligence artificielle, Quantmetry (désormais Capgemini Invent), avec l’idée de développer un algorithme de support à la lecture visuelle.
Figure 3 – Annotation des petites fibres nerveuses sur biopsie de peau (flèches).
Comment avez-vous développé cette technique ?
Par ce partenariat tripartite, AP-HP, Inserm et Quantmetry, en fournissant un dataset d’imagettes de plusieurs milliers d’annotations de petites fibres. L’approche de l’entraînement algorithmique s’est réalisée en deux temps : délimiter la zone d’intérêt qui est la membrane basale où croisent les fibres d’abord, puis détecter les fibres qui traversent la membrane basale.
À terme, le logiciel vise à améliorer le diagnostic précoce des neuropathies des petites fibres comme l’amylose à TTR et réduire le temps d’analyse.
Où en êtes-vous dans le déploiement de la technique ?
Un brevet Inserm-AP-HP-Quantmetry a été déposé en 2023 et nous sommes actuellement en train de terminer une étude de validation pour prouver la reproductibilité intra- et inter-observateurs de l’algorithme qui s’appelle INNERVE. C’est-à-dire que l’on compare la lecture de biopsies cutanées par des observateurs avec celle de l’observateur sur des lames prédites par l’algorithme (Fig. 4). Les résultats ont indiqué de bonnes corrélations avec la lecture humaine seule, avec un gain moyen de 36 %. Il nous a fallu plusieurs années pour obtenir ces résultats. Notre objectif suivant est de déterminer si l’algorithme est capable de prédire d’emblée la normalité de la biopsie par une étude de l’aire sous la courbe/courbe ROC (receiver operating characteristic, caractéristique de fonctionnement du récepteur) (en cours).
À moyen terme, il est très probable que l’on puisse utiliser ces outils d’intelligence artificielle également dans la recherche de dépôts d’amyloïde sur les biopsies.
Y a-t-il d’autres structures anatomiques qui pourront en bénéficier ?
Ce logiciel pourrait être utile pour déterminer la densité en petites fibres sur les glandes sudoripares, qui sont également visibles sur la biopsie de peau. On pourrait également étendre cette technologie à la microscopie confocale de cornée, un outil intéressant pour étudier les petites fibres du fait du caractère transparent de la cornée.
Son champ d’application s’étendra peut-être même en dehors des petites fibres, à d’autres biopsies, d’autres tissus, voire dans d’autres pathologies. Nous n’avons pas encore été jusque-là pour le moment.
Publirédactionnel – Information communiquée en collaboration avec l’entreprise de santé AstraZeneca