Depuis plus de 60 ans, la L-dopa reste le traitement de référence de la maladie de Parkinson, malgré les complications motrices qu’elle engendre à moyen terme. Une équipe française, dirigée par David Devos et Caroline Moreau (université et CHU de Lille, Inserm) et la start-up InBrain Pharma ont développé une approche innovante : l’administration de dopamine anaérobie (A-dopamine) directement dans le cerveau par perfusion intracérébroventriculaire. Leur étude de phase I/ II, récemment publiée dans Nature Medicine, a montré des résultats prometteurs : 12 patients ont reçu cette perfusion cérébrale de dopamine, avec une amélioration nette de la motricité et une absence totale de dyskinésies. De plus, la réduction du traitement oral a été significative (jusqu’à 60 %), tout en assurant une bonne tolérance, avec un recul actuel de plus de 4 ans. Ces résultats ouvrent la voie à un essai de phase III pour confirmer ces observations sur un plus large échantillon de patients. David Devos nous a accordé un entretien.
Propos recueillis par Léna Pedon (journaliste médicale)
Neurologies : Quelle est la principale problématique clinique à laquelle vous avez voulu répondre avec cette étude ?
David Devos : Dans le cerveau des patients atteints de la maladie de Parkinson, la dopamine est déficiente dans la voie nigrostriée. Il était donc logique de compenser directement ce besoin, comme la compensation en insuline dans le diabète. Mais la dopamine ne traverse ni la barrière digestive ni la barrière hémato-encéphalique. C’est pourquoi on utilise depuis 1969 son précurseur, la L-Dopa, qui se transforme en partie en dopamine dans l’organisme. Toutefois, à partir des années 1980, on a constaté que son usage prolongé entraînait des fluctuations motrices avec des phases d’efficacité variables et l’apparition de dyskinésies, car le cerveau a besoin de dopamine et non de L-Dopa. En effet, 50 % des patients développent ces complications après seulement 5 ans.
Des alternatives ont été explorées, comme les agonistes dopaminergiques, mais ils sont faiblement efficaces et peuvent causer des addictions chez une personne sur deux. Les inhibiteurs de métabolisation de la dopamine apportent un bénéfice très limité. Les traitements destinés aux patients avec complications, comme la stimulation cérébrale profonde (SCP) ou les dispositifs sous-cutanés d’apomorphine, ne conviennent pas à tous et sont parfois mal tolérés sur le long terme, voire sont tout simplement refusés (peur de la chirurgie ou caractère entravant des dispositifs externes). On estime que deux tiers des patients n’ont donc pas de traitement !
Pourquoi avoir choisi l’administration intracérébroventriculaire de dopamine anaérobie ?
L’idée de perfuser directement la dopamine dans le cerveau remonte aux années 1980, mais elle avait été abandonnée en raison de son instabilité chimique, rapidement oxydée et donc inefficace qui, de plus, ne passe ni la barrière digestive ni la barrière du cerveau. Depuis 60 ans, administrer de la dopamine directement dans le cerveau semblait une mission impossible. Avec mon équipe, nous avons levé deux verrous technologiques majeurs : la stabilisation chimique du neurotransmetteur, la dopamine et sa délivrance contrôlée en continu, in situ à proximité du striatum – zone cérébrale souffrant du déficit en dopamine.
Quels étaient les critères d’inclusion et d’exclusion des patients ?
Pour la phase I/II, il s’agissait de personnes de moins de 75 ans, avec 5 ans d’évolution de maladie de Parkinson et des complications liées à la L-Dopa, c’est-à-dire soumises à la fois à des fluctuations d’efficacité et des mouvements involontaires. Nous avons essayé d’éviter les personnes souffrant de troubles intellectuels ou psychiatriques trop sévères ou de comorbidités majeures.
Quels ont été les principaux résultats ?
Nous avons inclus 12 patients dans cette étude de phase I. La perfusion cérébrale de dopamine anaérobie a montré un profil de sécurité excellent, sans effet secondaire grave. Nous avons trouvé la dose efficace à partir de 50 mg, ce qui a permis de réduire progressivement le traitement oral. Plus la dose augmentait, plus les complications disparaissaient. Une observation majeure est que, contrairement à la L-Dopa, cette administration de dopamine intracérébrale n’a provoqué aucune dyskinésie. En phase II, nous avons confirmé une diminution significative du temps passé en dyskinésie ou en bradykinésie, avec une réduction du recours à la L-Dopa orale pouvant atteindre 60 %.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Nous sommes en train de préparer la phase III de l’essai clinique pour confirmer la magnitude de ces effets thérapeutiques, avec l’inclusion de 170 patients dans une trentaine de centres en Europe et aux États-Unis. Pour cela, nous sommes mobilisés par une levée de fonds de 52 millions d’euros pour pouvoir financer ce changement d’échelle (industrialiser le projet).
La perfusion cérébrale pourrait-elle être appliquée à d’autres pathologies ?
Oui, nous avons déjà un programme en cours pour les troubles cognitifs sévères. On pourrait aussi imaginer utiliser cette méthode pour administrer des enzymes manquantes dans certaines maladies génétiques rares. La perfusion cérébrale pourrait devenir une stratégie thérapeutique d’avenir pour plusieurs pathologies neurologiques.
La A-dopamine, est-ce facile à produire ?
Elle est délicate à produire. Cela nécessite une chambre fermée, qu’il faut mettre en anaérobie. Nous remplaçons l’oxygène par de l’azote et de l’hydrogène.
Elle est actuellement produite au sein de la pharmacie du CHU de Lille et nous commençons une collaboration avec une société de prestation pour l’industrie pharmaceutique (CDMO) afin de produire des lots cliniques à plus grande échelle en condition BPF pour notre essai de phase III.