Souvent, la migraine ne fait référence qu’à la douleur, alors qu’elle est bien plus que cela. De nombreuses études permettent désormais de décrire le patient migraineux au-delà de ses crises. Pour mieux comprendre la maladie et ses conséquences, des échelles ont été développées. Certaines de ces échelles, les PROs pour patient reported outcomes, évaluent, selon la FDA, l’état de santé d’un patient par le patient, sans interprétation de la réponse par un clinicien ou par une tierce personne.
La période interictale
La période entre les crises, la période interictale, est à distinguer des périodes qui entourent une crise de migraine, appelées prodromes et postdromes, se manifestant souvent par une hyperphagie ou une anorexie, une fatigue, des troubles de concentration et une labilité émotionnelle [1]. Ainsi, la période interictale est indirectement corrélée à la fréquence de crises : en effet, plus les crises sont nombreuses, plus le chevauchement avec les pro et postdromes sera important, d’où la difficulté pour identifier les symptômes de la période interictale.
Plusieurs études rapportent des troubles cognitifs, des difficultés de mémorisation [2], des troubles du sommeil et une fatigue [3] chez les patients migraineux, gênant le quotidien.
Dans l’étude Eurolight [4], à partir de questionnaires adressés au patient, 26 % des migraineux signalent des symptômes interictaux, contre 18,9 % chez les patients souffrant de céphalées de tension. Il s’agissait surtout d’une anxiété anticipatoire et d’un comportement d’éviction. En effet, lors des périodes interictales, la crainte d’avoir une nouvelle crise peut devenir envahissante surtout chez les migraineux chroniques. Une étude portant sur 40 patients a confirmé une plainte mnésique lors de la phase interictale [2]. Une autre étude portant sur 15 migraineux et 15 contrôles a conclu que les patients migraineux avaient un temps de discrimination visuelle allongé même entre les crises, suggérant que la maladie migraineuse influence la perception visuelle [5]. Ces études de petits effectifs n’ont pas fait de corrélation avec le nombre, la durée et l’intensité des crises, mais elles suggèrent que la maladie migraineuse a un mécanisme neurobiologique qui dépasse celui de l’activation trigéminovasculaire. Pour tenter de répondre à cette question, les recherches en imagerie fonctionnelle permettent d’étudier les cerveaux des patients migraineux pour identifier les zones qui s’activent en dehors des crises.
Enfin, on notera qu’il peut parfois être difficile de faire la part entre un effet central du traitement prophylactique et ce qui est imputable à la maladie migraineuse.
Les domaines évalués
L’agenda du patient migraineux n’est pas considéré comme un PRO selon la définition de la FDA, cependant, il permet de noter plus que les crises de migraine en apportant des détails comme les facteurs déclenchants et la tolérance du traitement. Il est l’outil le plus utilisé pour l’évaluation. Le score HIT-6 (Headache Impact Test) est l’échelle la plus utilisée pour évaluer le retentissement de la migraine sur la vie quotidienne des patients (travail, loisirs, vie sociale…). Plusieurs PROs, échelles-patients, ont été développés pour évaluer le retentissement de la maladie dont l’utilisation dans les essais cliniques portant sur les nouvelles thérapeutiques de la migraine a permis de mieux appréhender le ressenti du patient concernant sa pathologie et de l’impact des crises au-delà de la douleur.
La qualité de vie et le ressenti du patient
Les échelles MSQ et MIBS-4
L’échelle MSQ [6], pour Migraine-Specific Quality of Life Questionnaire, est une échelle de qualité de vie (Tab. 1). Elle est composée de trois domaines : Role Function-Preventive (RP), Role Function-Restrictive (RR), et Emotional Function (EF). Elle mesure l’impact fonctionnel, dont le retentissement des crises, mais aussi les comportements d’éviction et de restriction. L’échelle MIBS-4 [7], pour Migraine Interictal Burden Scale, permet au patient d’évaluer le fardeau de la migraine entre les crises. Quatre questions permettent d’évaluer (Tab. 2) : l’incidence sur le travail et la scolarité, la vie sociale, les difficultés à planifier des activités et l’impact émotionnel.
Le PGIC
Le PGIC [8], pour Patient Global Impression of Change, reflète la satisfaction du patient concernant son traitement (Tab. 3). Cette échelle peut facilement être proposée au patient, et permet au clinicien d’adapter sa prise en charge. Par exemple, un patient peut présenter une évolution très favorable de la fréquence de ses crises sur son agenda et répondre qu’il n’est pas amélioré, peut-être du fait d’effets secondaires des traitements.
La comorbidité anxieuse et dépressive
L’étude CaMEO [9], étude épidémiologique prospective via internet, a identifié chez les patients migraineux la comorbidité anxiodépressive comme un facteur de risque de chronicisation. Il a aussi été mis en évidence que les troubles de l’humeur se répercutent sur les périodes interictales, et pourraient expliquer les difficultés cognitives et de mémorisation, ou encore les troubles du sommeil. Ainsi, Karsan et Goadsby suggèrent un mécanisme neurobiologique commun [10], au-delà du circuit trigéminovasculaire, impliqué dans l’aspect céphalalgique de la douleur et de l’inflammation des méninges. On utilise l’échelle HAD (Hospital Anxiety and Depression Scale) pour évaluer les comorbidités anxieuses et dépressives chez le patient migraineux.
La photophobie/phonophobie/osmophobie
Au cours de la période interictale, certains patients se plaignent d’une gêne à la lumière et/ou au bruit et/ou aux odeurs [11-15]. La distinction entre une gêne ou un facteur déclenchant peut être complexe. Une revue récente orienterait plutôt vers une gêne à la lumière en lien avec un début de crise plus qu’un facteur déclenchant [5]. Pour la phonophobie, l’hypothèse s’oriente vers une dysfonction du tronc cérébral. L’évaluation de ces troubles sensitifs quelle que soit leur physiopathologie est nécessaire, car c’est une plainte fréquente des patients. C’est pourquoi il est important que le patient note ce type de symptômes dans son agenda de la migraine.
Conclusion
Quand un patient migraineux est vu en consultation, l’agenda ou le nombre de jours de douleurs ne correspondent pas au patient dans sa globalité. Un patient peut avoir des plaintes qui iront bien au-delà de sa plainte douloureuse, avec des difficultés pour se concentrer, mémoriser, une fatigue, une photophobie ou une phonophobie. Il est important de percevoir la migraine comme une maladie pour évaluer les périodes interictales. Parfois, la satisfaction globale du patient n’est pas aussi bonne qu’espérée, malgré l’impression d’une amélioration. Les échelles d’évaluation, et notamment les PROs, permettent une vision d’ensemble pour mieux comprendre ce qui affecte le patient au-delà uniquement des jours de crise.
Encadré – La problématique thérapeutique.
Durant les périodes interictales, certains symptômes sont rapportés à une intolérance au traitement. Ainsi, bien qu’efficaces, les traitements classiques altèrent la qualité de vie et peuvent conduire les patients à préférer avoir des crises plus fréquentes, mais entrecoupées de périodes où ils sont globalement bien. C’est la raison pour laquelle il est fondamental de poursuivre sur la voie des innovations thérapeutiques ayant une action sur la fréquence des crises tout en ayant des effets secondaires centraux limités.
Bibliographie
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5. Başarı A, Evren Boran H, Vuralli D et al. Visual temporal discrimination is impaired in patients with migraine without aura. Headache 2023 ; 63 : 202-10.
6. Jhingran P, Osterhaus JT, Miller DW et al. Development and validation of the Migraine- Specific Quality of Life Questionnaire. Headache 1998 ; 38 : 295-302.
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10. Karsan N, Goadsby PJ. Migraine Is More Than Just Headache: Is the Link to Chronic Fatigue and Mood Disorders Simply Due to Shared Biological Systems? Front Hum Neurosci 2021 ; 15 : 646692.
11. Gossrau G, Frost M, Klimova A et al. Interictal osmophobia is associated with longer migraine disease duration. J Headache Pain 2022 ; 23 : 81.
12. Artemenko AR, Filatova E, Vorobyeva YD et al. Migraine and light: A narrative review. Headache 2022 ; 62 : 4-10.
13. Matt E, Aslan T, Amini A et al. Avoid or seek light – a randomized crossover fMRI study investigating opposing treatment strategies for photophobia in migraine. J Headache Pain 2022 ; 23 : 99.
14. Kalita J, Misra UK, Bansal R. Phonophobia and brainstem excitability in migraine. Eur
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15. Goadsby PJ, Holland PR, Martins-Oliveira M et al. Pathophysiology of Migraine: A Disorder of Sensory Processing. Physiol Rev 2017 ; 97 : 553-622.