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Le diagnostic de la maladie d’Alzheimer : évolution diagnostique et enjeux cliniques

En France, la maladie d’Alzheimer touche 900 000 personnes et il est estimé à 225 000 le nombre de nouveaux patients diagnostiqués chaque année. Le Pr Mathieu Ceccaldi nous livre son point de vue sur l’évolution passée et future du diagnostic de cette pathologie neuro-dégénérative et sur les enjeux d’un diagnostic précoce pour les patients et les aidants.

Que diriez-vous de l’évolution du diagnostic de la maladie d’Alzheimer ?

« Nous avions une approche exclusivement clinique de la maladie »

Il y a encore quelques années, nous avions une approche majoritairement, voire exclusivement clinique de la maladie, car les données collectées concernaient les conséquences symptomatiques et fonctionnelles de la maladie d’Alzheimer et des maladies apparentées. Cette approche clinique suffisait souvent pour documenter le diagnostic de patients qui étaient affectés d’une démence ou d’un trouble neurocognitif majeur au sens du DSM-5, c’est-à-dire de patients avec une perte plus ou moins sévère d’autonomie. On avait bien entendu des outils paracliniques pour nous aider notamment à écarter d’autres pathologies, comme l’imagerie cérébrale ou des examens biologiques.

« Les biomarqueurs de maladie d’Alzheimer dans le LCS ont été implémentés dans le soin courant depuis plus de 15 ans »

Aujourd’hui, nous avons toujours une approche clinique neuropsychologique pour préciser le mieux possible le profil du déficit quand il existe. Mais ce qui est apparu depuis une quinzaine d’années, ce sont les biomarqueurs de maladie d’Alzheimer dans le liquide cérébrospinal (LCS). Petit à petit, nous avons utilisé de plus en plus dans notre pratique clinique ces biomarqueurs : la protéine tau, la protéine phospho-tau et les peptides amyloïdes.

« D’une approche exclusivement clinique à une approche clinico-biologique »

Nous sommes progressivement passés d’une approche exclusivement ou majoritairement clinique de la maladie à une approche clinico-­biologique, avec l’utilisation de biomarqueurs dans le LCS. Cela s’est accompagné d’une tendance à faire des diagnostics plus précoces, puisqu’avec ces outils, nous avons la possibilité de porter des diagnostics chez des patients qui ne sont pas encore en perte d’autonomie et qui se trouvent donc au stade de troubles neurocognitifs mineurs et qui présentent, si les biomarqueurs de maladie d’Alzheimer sont positifs, une forme prédémentielle, ou prodromale, de la maladie d’Alzheimer. Ce fut une évolution progressive.
Entre-temps, les critères diagnostiques ont évolué et des critères diagnostiques ont été avancés au plan international : les critères ATN (A pour amyloïde, T pour tau et N pour neurodégénérescence) mis en avant déjà depuis quelques années, pour être utilisés essentiellement dans la recherche. Ils ont promu une conception biologique de la maladie d’Alzheimer, en soutenant qu’avant d’être une maladie clinique, la maladie d’Alzheimer est une maladie biologique, caractérisée par des lésions anatomopathologiques, que l’on peut désormais objectiver du vivant des patients. Cette conception pour la recherche de la maladie d’Alzheimer positionne la maladie comme un concept biologique, et s’accompagne progressivement d’une tendance à vouloir faire un diagnostic encore plus précoce, à un moment où les patients n’ont pas encore de symptôme et donc à un stade que l’on peut qualifier de préclinique. C’est une tendance actuelle de la recherche.

« Des diagnostics de plus en plus précoces sans abandonner la clinique »

Mais il faut bien distinguer la recherche de la pratique clinique. Aujourd’hui, et notamment en France, nous faisons des diagnostics effectivement précoces grâce aux biomarqueurs du LCS, un peu moins avec la TEP amyloïde, chez des patients qui ont des symptômes. Certes, les diagnostics sont de plus en plus précoces, mais nous n’abandonnons pas la clinique. Nous précisons le phénotype clinique et nous utilisons des examens qui permettent d’écarter d’autres diagnostics, comme des examens de morphologie cérébrale (IRM), et nous faisons usage des biomarqueurs de pathologie dans le LCS et au niveau de la TEP dans notre pratique de soins courants. C’est ça la pratique clinique aujourd’hui.

« Est-ce qu’une seule prise de sang permettrait d’établir un diagnostic ? »

Demain, comment cela peut évoluer ? Beaucoup mettent en avant l’idée que nous pourrons utiliser des biomarqueurs moins coûteux que la TEP amyloïde ou que les marqueurs de pathologie dans le LCS avec des dosages dans le sang. Ce qui veut dire que nous n’aurons pas nécessairement besoin de faire de la clinique, pas nécessairement besoin de faire des examens coûteux et qu’une seule prise de sang permettrait d’établir un diagnostic. C’est une position émergente qui, à mon sens, est encore déconnectée de la réalité de terrain. Certes il y a des résultats très intéressants avec certains des biomarqueurs plasmatiques tels que le dosage de phTau 217 qui sont testés dans des cohortes de recherche. Mais l’implémentation dans la pratique c’est une autre histoire, car les patients vus dans les soins courants, ce ne sont pas des patients de cohortes de recherche, ils n’ont pas les mêmes profils, ont souvent de nombreuses comorbidités qui, comme l’insuffisance rénale par exemple, sont susceptibles d’impacter les résultats. Donc je ne crois pas que dans les prochaines années, nous aurons des biomarqueurs plasmatiques qui permettront de faire un diagnostic aussi simple que celui exposé dans certaines études, car il existe une très grande hétérogénéité dans les populations de malades suivies en soin courant.
Un autre point important est que ce n’est pas une maladie que nous prenons en charge, mais un patient. Ce n’est pas une prise de sang qui informe sur un patient. Chaque cas est singulier. La prise en charge d’un patient nécessite une approche personnalisée de qui intègre le phénotype clinique, la nature du déclin fonctionnel, les comorbidités, le contexte de vie…
Nous allons donc continuer à faire de la clinique et probablement encore pendant longtemps.
Si les anticorps monoclonaux anti-amyloïdes sont approuvés en France, cela va probablement induire encore plus de diagnostics de maladie d’Alzheimer à un stade précoce ou débutant, mais chez des patients symptomatiques.

Quel est l’intérêt de diagnostiquer de façon plus précise et plus tôt les patients ?

« En primoconsultation, le MMSE moyen est à 17 »

Aujourd’hui, sur l’ensemble du territoire, nous portons encore des diagnostics à un stade relativement tardif. En primoconsultation, le MMSE moyen est à 17, donc des patients déjà à un stade bien avancé de la maladie. Faire un diagnostic plus précoce, c’est déjà essayer de faire un diagnostic à un moment où le patient n’est pas encore en perte d’autonomie.

« Faire un diagnostic plus précoce c’est mieux prendre en charge le patient »

Avant même que les médicaments ne soient disponibles, cela a un intérêt, car quand le patient est diagnostiqué à un stade où il n’est pas encore en perte d’autonomie, il est possible de mettre en place des mesures d’accompagnement, des approches non médicamenteuses, médicosociales, des approches médicamenteuses pas forcément spécifiques sur la mémoire, qui peuvent avoir une action sur l’état de l’humeur du patient. C’est aussi mieux prendre en charge le patient sur ses facteurs de risque susceptibles d’aggraver le déclin cognitif, car il n’évolue pas uniquement en fonction de la maladie, mais aussi en fonction de cofacteurs sur lesquels on peut agir. Faire un diagnostic plus précoce c’est mieux prendre en charge le patient de manière générale et essayer d’infléchir le déclin par un certain nombre de mesures que nous pourrons proposer pour chaque situation particulière.
Bien entendu, s’il y a un anticorps ou un médicament qui se prescrit à un stade débutant de la maladie, ce serait une raison supplémentaire de faire un diagnostic précoce.

Quels sont les impacts présents et futurs attendus dans la pratique clinique ? Est-ce que le système de santé français est-il prêt ? Comment s’organiseront les consultations en CM2R, consultation mémoire ?

« Il existe une quantité de professionnels formés susceptibles de porte des diagnostics précoces »

Les demandes de consultation vont probablement augmenter. Est-ce que le pays est prêt pour répondre à une recrudescence des demandes de consultation et de diagnostics ? Je dirais oui. Nous avons plus de 400 consultations mémoire sur le territoire, les neurologues libéraux sont aussi impliqués dans le diagnostic précoce, il existe une quantité de professionnels formés susceptibles de porter des diagnostics précoces en suivant bien entendu les recommandations et les usages pour le diagnostic. Il est possible cependant que le délai d’attente augmente. C’est là où il va falloir agir.

« Il faudrait que le médecin généraliste puisse prendre le relais du suivi des patients déjà diagnostiqués »

Les méthodes pour essayer de fluidifier le parcours des patients seraient notamment que le médecin généraliste puisse prendre le relais par rapport au suivi des patients diagnostiqués. Il faut essayer d’alléger le suivi en consultation mémoire des patients déjà diagnostiqués pour favoriser l’accès en primoconsultation des patients en attente d’un diagnostic. Bien entendu, ce n’est pas sans poser problème, compte tenu du fait que nous souffrons également en France d’une carence de médecins généralistes qui sont déjà très sollicités et qu’une bonne partie des patients que nous recevons n’ont plus de médecin référent.
Maintenant, il est possible que pour les structures qui dispenseront ces traitements innovants, mais dont le maniement est délicat, il faille les adapter et les renforcer pour pouvoir répondre à la demande et à l’afflux de patients à traiter.
Même s’il y a suffisamment de structures, il faudra probablement réfléchir pour que ces structures à différents niveaux soient renforcées demain.

Avez-vous des conseils pour gérer au mieux l’annonce du diagnostic au patient et à son entourage ?

« Être clair avant d’utiliser les biomarqueurs, cela fait partie du processus progressif de l’annonce diagnostique »

D’abord, l’annonce du diagnostic doit toujours être contextualisée dans la situation singulière de chaque patient et doit être anticipée. Par exemple, si nous faisons une ponction lombaire pour rechercher et doser des biomarqueurs de maladie d’Alzheimer, il faut en parler en amont au patient. Quand nous proposons un examen qui permettra de confirmer un diagnostic, notamment pour des patients en début d’évolution, il faut être très explicite et très clair, et dire au patient « Je vous propose de faire cet examen, car il va me permettre de savoir si vous êtes porteur ou non de lésions de maladie d’Alzheimer ». Je vois assez fréquemment des patients à qui ont été faites des ponctions lombaires sans qu’on leur ait préalablement expliqué pourquoi on leur a fait et nous nous retrouvons avec des patients qui ont des biomarqueurs de maladie d’Alzheimer et auxquels l’hypothèse d’une maladie d’Alzheimer n’a jamais été explicitement présentée. Être clair avant d’utiliser les biomarqueurs, cela fait partie du processus progressif de l’annonce diagnostique. Une fois que les résultats sont positifs et que le patient a déjà été confronté à l’éventualité d’une positivité du diagnostic, c’est plus naturel et plus facile. Je pense même que c’est une question éthique. Comment peut-on porter un diagnostic chez un malade avec lequel nous n’avons jamais envisagé de manière explicite ce diagnostic ? C’est au patient de décider s’il souhaite ou pas accéder à un diagnostic de ce type.

« Il ne faut pas faire de diagnostic sans proposer une prise en charge »

Quand le diagnostic effectivement est confirmé, il est important, surtout dans les stades débutants, de dédramatiser, parce que la représentation de la maladie d’Alzheimer est ancienne : un patient très âgé, perdu, dément. Aujourd’hui, nous faisons des diagnostics à des stades précoces de la maladie, certains patients continuent à exercer leur activité professionnelle malgré la maladie. Il ne faut pas non plus faire de diagnostic sans proposer une prise en charge. Nous nous devons de proposer, même si les moyens ne sont pas à la hauteur de la problématique, un plan de prise en charge, pour limiter l’impact fonctionnel de la maladie et essayer de limiter le déclin, en nous efforçant de le compenser avec différents moyens qui font appel aux capacités propres du patient, mais aussi avec des moyens humains externes. Donc, dédramatiser et surtout accompagner le diagnostic d’une proposition de plan de soins et de suivi.

« Les patients ne doivent pas avoir le sentiment d’être face à une maladie incurable »

Il peut être nécessaire de voir à plusieurs reprises le patient pour donner le diagnostic, éventuellement suivi d’un débriefing. En effet, souvent, les patients et accompagnants ont des questions, qu’ils n’ont pas la présence d’esprit de poser lors de l’annonce diagnostique chez le spécialiste. Il faut alors essayer d’aménager des ponts entre les équipes et les patients pour que les patients puissent avoir des réponses aux questions qu’ils se poseront une fois rentrés chez eux après la consultation. Et surtout, il ne faut pas que les patients aient le sentiment d’être confrontés à une maladie incurable pour laquelle on ne peut rien faire.
Il faut que les praticiens, neurologues, gériatres, libéraux, hospitaliers, assument leurs responsabilités et portent un diagnostic qui soit clair, non stigmatisant, et explicite.

Comment les patients vivent-ils la multiplicité des examens ?
Quel impact de toutes ces batteries de tests ?
Que vous disent vos patients ?

« Les patients souffrent de l’incertitude du diagnostic »

La multiplicité des examens, ce n’est pas quelque chose dont se plaignent généralement les patients qui viennent nous consulter. Ce dont ils souffrent, c’est l’incertitude du diagnostic, quand leurs questions sont laissées sans réponse. Il est très rare qu’un patient se plaigne d’avoir subi beaucoup d’examens, s’ils ont abouti à une réponse explicite du praticien. La plupart du temps, les patients et leur entourage se plaignent de l’errance diagnostique devant le caractère mutique de certains des médecins qu’ils rencontrent et de l’absence de discours clair et explicite. De plus, dans le suivi, ils ne sont pas forcément soumis à des explorations multiples, le suivi est d’abord essentiellement clinique, parfois accompagné de quelques explorations paracliniques, mais on ne renouvelle pas des batteries d’examens paracliniques compliqués pour le suivi des malades. Nous serons amenés, s’il y a des médicaments, à faire des examens de contrôle pour vérifier qu’il n’y ait pas d’effets secondaires, notamment avec l’imagerie cérébrale. Mais dans la pratique actuelle, nous ne multiplions pas les examens dans le cadre du suivi : celui-ci reste avant tout fondamentalement fondé sur l’impact clinique et fonctionnel de la maladie et sur les mesures mises en place pour y pallier.

« L’attention portée à l’aidant est presque aussi importante que celle portée au patient »

Les conséquences pour les malades et les aidants sont très variables d’une situation à l’autre. L’attention portée à l’aidant est très importante, presque aussi importante que celle portée au patient. Souvent, l’aidant d’un patient qui évolue vers une perte d’autonomie sera la personne la plus importante dans la prise en charge du patient Nous ne pouvons jamais accompagner les aidants de manière suffisamment satisfaisante. Ils sont toujours frustrés par rapport à l’aide apportée. Malgré tout, l’attention qu’on leur porte leur permet d’avoir un meilleur ressenti par rapport au poids de leurs charges.
Plus la maladie évolue, généralement, moins les patients eux-mêmes sont conscients de leurs difficultés, et moins ils montrent de manière explicite une souffrance par rapport aux conséquences de leur maladie. Mais plus elle évolue, et plus l’aidant lui est impliqué, sollicité et mis à contribution et plus ce sera lui qui paiera le prix de la maladie.

« Le suivi doit être singulier »

C’est pour cela que le suivi doit être singulier et que nous ne pouvons pas nous permettre de prendre en charge la maladie avec une simple prise de sang.
En consultations mémoire, nous rentrons dans le vécu quotidien des gens : est-ce qu’ils se font à manger, est-ce qu’ils sont capables de sortir, est-ce qu’ils sont isolés chez eux, est-ce qu’ils ont des interactions sociales, est-ce qu’ils qui dorment correctement… Ce suivi-là est clinique et fonctionnel. C’est beaucoup d’énergie. Il est vrai qu’en milieu hospitalier, nous avons cette possibilité de passer du temps avec les patients. Mais cela nécessite de la part des praticiens beaucoup de présence, d’attention et de temps. Et ça, c’est une des difficultés de notre système de santé. L’une des choses le moins valorisées dans notre système de santé, c’est le temps consacré à la clinique, c’est-à-dire au patient plus qu’à sa maladie.