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Les pouvoirs du cerveau – Interview du professeur Hugues Duffau

Mihaela Bustuchina Vlaicu : Professeur Hugues Duffau, vous être le chef du service de neurochirurgie du Centre hospitalier universitaire de Montpellier et directeur de l’équipe Inserm 1191 Plasticité du système nerveux central, cellules souches humaines et tumeurs gliales, à l’Institut de génomique fonctionnelle de Montpellier. Votre palmarès scientifique est impressionnant : vous avez reçu le prix Herbert Olivecrona (prix Nobel de neurochirurgie) de l’Institut Karolinska de Stockholm, sept fois le titre de docteur honoris causa, etc. La session qui a eu comme sujet Intelligence artificielle : avancées et applications en neuro-oncologie à laquelle vous avez fait une présentation intitulée Enjeux de la connectomique : l’impact des gliomes de bas grade sur les fonctions cérébrales normales* vient de prendre fin. En tant qu’expert en neurochirurgie cognitive éveillée des tumeurs cérébrales, j’aimerais savoir (au nom des lecteurs de la revue Neurologies) quel est votre avis sur les pouvoirs du cerveau ?

Hugues Duffau : Je crois que le pouvoir du cerveau est au-delà de ce que nous avons pu nous imaginer. Nous nous sommes cantonnés pendant longtemps à un modèle relativement rigide, localisationniste et enfin, nous avons compris qu’il y avait des réseaux neuronaux dynamiques et que ces derniers fonctionnaient entre eux, notamment en ce qui concerne les fonctions complexes : le langage (qui sous-entend aussi bien la compréhension, la phonologie, l’articulation), les fonctions exécutives, avec la mémoire de travail verbal et la flexibilité mentale, les phénomènes attentionnels qui se surajoutent, mais aussi l’émotion. Ces intercommunications vont permettre de déboucher sur un comportement adapté. C’est ainsi que nous nous sommes aperçus que le cerveau était en permanence instable, dans le sens que le connectome n’est pas figé, s’adapte de façon physiologique à l’environnement, en nous permettant également « d’apprendre à apprendre ». Et le cerveau s’adapte notamment aux lésions que l’on peut voir en neurochirurgie, dans le cadre des tumeurs cérébrales, ce qui était le débat d’une session scientifique de l’EAN. C’est ainsi que nous avons proposé le principe du modèle « méta-réseaux, à savoir réseau des réseaux », avec des interactions qui vont créer un véritable pattern fonctionnel complexe, instantané, multimodal, adapté à chaque instant à ce que l’environnement nous demande – ou bien à l’introspection, si finalement nous souhaitons parler de bases de créativité. À partir du moment où nous aurons cette vision beaucoup plus dynamique du fonctionnement du SNC, on pourra l’utiliser dans le traitement des pathologies. Par exemple, pour mieux opérer une tumeur cérébrale chez un patient qui ne présente que peu ou voire pas de symptômes (type crises d’épilepsie), voire dans le cadre d’une découverte fortuite de gliome, on peut désormais lui garantir à 99 % qu’il n’aura que peu ou pas de troubles postopératoires permanents, et que dans 97 % des cas, il va retourner au travail, montrant bien que le cerveau (pour répondre à la question initiale) est magique et dépasse notre imagination dans le cadre de réparation des lésions – ce qu’on peut inclure en l’occurrence en qualité de neurochirurgien dans la stratégie thérapeutique.

MBV : Puisqu’on parle de l’intelligence artificielle (IA), êtes-vous convaincu qu’il y a une plasticité cérébrale et que l’IA va nous aider dans le futur ?

HD : Je pense clairement que l’IA a une place — comme on a pu le dire dans cette section scientifique — en particulier pour aider à comprendre les mécanismes de fonctionnement dynamiques des circuits distribués du cerveau et de leur capacité de réorganisation. Comme le cerveau est magique, il va plus loin dans ce qu’il est capable de faire. Pour mieux comprendre la mécanistique sous-jacente de la neuroplasticité, il va falloir que l’on utilise des modèles multimodaux fondés sur le Big data qui vont analyser la réalité des faits : typiquement, vous enlevez la région de Broca chez 100 patients, ils récupèrent dans 99 % des cas. La question est de savoir comment les nouveaux logiciels et méthodologies biomathématiques de Deep learning auront une véritable place en nous aidant à expliquer la reconfiguration compensatrice des réseaux, et surtout à prévoir une telle redistribution avant d’aller au bloc opératoire ? Pour moi, à l’heure actuelle, cela reste du domaine de la recherche à l’état pur. Dans les années futures, je n’utiliserai pas ces outils pour une prise de décision à l’échelon individuel pour chaque patient, tant qu’il n’y aura pas eu une validation objective de l’IA aussi bien en neurosciences dans le domaine du connectome qu’en neuro-oncologie – quitte bien entendu à participer activement à une telle validation par moi-même.

MBV : Nous sommes à l’Académie européenne de neurologie. Quel message souhaitez-vous adresser aux neurologues ?

HD : En tant que neurochirurgien longtemps impliqué en neurologie et en neurosciences, j’ai l’impression que les neurologues deviennent de plus en plus spécialistes d’une pathologie (AVC, Alzheimer, Parkinson, épilepsie, oncologie, sclérose en plaques, etc.). Mais finalement, assez peu ont une vision holistique de la compréhension du méta-réseau, du connectome, du système nerveux central – on l’appelle finalement comme on veut. Je trouve que c’est dommage, puisque c’est de ces interactions entre la vision beaucoup plus fondamentale des neuroscientifiques à l’heure actuelle et les applications cliniques, qu’on pourrait créer des liens uniques, qui existent de façon dynamique dans le cerveau entre l’histoire naturelle des maladies et la réaction compensatrice du connectome. Je ne vois pas comment on pourrait prendre des décisions thérapeutiques optimales, à plusieurs échelles, en anticipant sur la base de la singularité de chaque patient, si on n’a pas compris les mécanismes d’instabilité réactionnelle du connectome à une pathologie donnée, et leur modification au fur et à mesure de l’évolution de la maladie.

MBV : Merci beaucoup Pr Duffau au nom des lecteurs de Neurologies. J’espère vous revoir à la prochaine édition de l’EAN. 

*Duffau H. Issues in connectomics: impact of low-grade gliomas in normal brain functions. Part of the session: Artificial intelligence: Advances and applications in neuro-oncology. 9th Congress of the European Academy of Neurology – Budapest 2023, July 1-4.

Correspondance
mihaela.bustuchina@inserm.fr

L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt.