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L’intelligence artificielle dans la maladie d’Alzheimer : avancées, opportunités et défis pour les professionnels de santé

L’intégration de l’intelligence artificielle (IA) dans le domaine médical a ouvert de nouvelles perspectives pour le diagnostic de précision, la prédiction des risques, le pronostic d’évolution et le suivi des stratégies thérapeutiques des maladies neurodégénératives. L’utilisation de l’IA pour les algorithmes de décision, pour les logiciels d’imagerie ou pour l’analyse des données d’outils numériques offre un champ des possibles colossal pour faire face aux enjeux médicaux et sociétaux de la maladie d’Alzheimer (MA). Les résultats positifs des phases III des traitements anti-amyloïde (aducanumab, lecanemab, donanemab) [1-3], leur approbation de mise en place sur le marché aux États-Unis par la Food and Drug Administration (FDA) (Leqembi®, Kisunla®) et potentiellement en France, relancent les questions du diagnostic précoce, de la stratification des patients et du suivi des potentiels effets secondaires. Une compréhension approfondie de la part des professionnels de la santé est nécessaire pour pouvoir développer et utiliser les outils d’IA et numériques de manière adaptée, sécurisée et pertinente pour le patient.

Quels sont les principaux avantages de l’IA pour le diagnostic, la prédiction et le suivi de la MA ?

1. Vers un diagnostic de plus en plus précoce

La quantité de données générées dans les cohortes et/ou les essais cliniques, incluant des images médicales, des biomarqueurs (multi-omics) et, pour certains, des données passives (objets connectés), est de plus en plus importante en nombre et en diversité. Leur analyse nécessite l’utilisation d’algorithmes d’IA et de modèles mathématiques innovants permettant de mieux interpréter les résultats à large échelle. Le développement des tests cognitifs digitaux et leur utilisation chez le médecin généraliste, chez le spécialiste, voire en autotest pourrait permettre d’identifier en population, ou plus tôt, les meilleurs candidats aux traitements ciblés ou de proposer des stratégies de prévention du déclin cognitif par des thérapies non médicamenteuses (MOCA digital, Cambridge Cognition, Altoïda, et plus spécifiquement en France ICOPE, DocteurMemo.fr, MemScreen…). Certains outils connectés, comme les montres ou les smartphones, permettent de définir des profils de comportement spécifique à risque de mild cognitive impairment (MCI) ou de MA préclinique (projet INTUITION, clinicaltrials.gov NCT05058950). En effet, en amont des signes cliniques objectivables par le clinicien, et dans l’objectif d’un diagnostic fondé sur les biomarqueurs ou sur des changements subtiles de la cognition ou du comportement (stade 3 MA préclinique) [4], les données longitudinales et celles recueillies passivement (sensors) ou activement (outils cognitifs digitaux, jeux cognitifs) en vie réelle offrent des possibilités uniques de suivre l’histoire naturelle de la maladie à l’échelle individuelle et de mieux comprendre les conséquences des lésions sur les activités quotidiennes de la personne.

2. Vers un diagnostic de précision grâce aux modèles prédictifs

Avec le développement de l’IA, des algorithmes sont publiés et validés pour prédire la positivité des plaques amyloïdes au TEP-amyloïde [5], pour prédire l’atrophie hippocampique à l’IRM (qynapse.com, icometrix.com…), pour cartographier à l’échelle individuelle les trajectoires cognitives [6, 7]. Ainsi, avec le deep learning et autres modèles d’IA, des logiciels d’imagerie aident les radiologues et les cliniciens à une meilleure analyse pour un diagnostic plus fiable. En analysant les données longitudinales, l’IA peut développer des modèles prédictifs pour évaluer la progression de la maladie, définir les trajectoires de déclin cognitif, ce qui peut être particulièrement utile pour la sélection des patients dans les essais cliniques ou pour ajuster les stratégies thérapeutiques.

3. Vers la personnalisation des traitements

En identifiant les profils spécifiques des patients de biomarqueurs, mais également de réponse aux traitements ou de risque aux potentiels effets secondaires, l’IA peut contribuer à la personnalisation des plans de traitement, permettant une approche plus ciblée et efficace. Dans une étude récente utilisant des biomarqueurs sur les données d’aducanumab, certaines caractéristiques de patients à l’entrée dans l’étude semblent permettre d’identifier les hauts répondeurs au traitement avec un effet cliniquement relevant sur la CDR-SB à 52 semaines [8]. Dans un futur où plusieurs traitements anti-amyloïde seront sur le marché, voire des combinaisons avec les traitements anti-Tau ou avec anti-inflammatoires ou sur le microbiote…, la capacité à identifier le profil idéal du patient pour la molécule idéale en se fondant sur des données cliniques, de multi-omics, d’imagerie nécessitera des algorithmes d’analyse et d’aide à la décision comme on peut déjà le voir en oncologie.

Quelles sont les limites potentielles de l’IA dans le diagnostic de la MA ?

1. L’intégration des outils numériques et de l’IA dans la pratique clinique

L’adoption des outils d’IA dans la pratique clinique nécessite une intégration efficace dans les flux de travail existants des professionnels de la santé, ainsi qu’une formation appropriée pour assurer une utilisation adéquate et une interprétation des résultats. L’interopérabilité avec les systèmes existants au sein des hôpitaux, des cabinets libéraux peut être un frein. Pour les patients présentant des troubles cognitifs même au stade débutant, l’utilisation des outils doit être simple, intuitive et avec des systèmes de valorisation et de récompense pour une bonne observance. De plus en plus d’outils numériques et de modèles d’IA sont coconstruits avec des utilisateurs pour une maniabilité et une expérience optimales.

2. Les questions de l’accès et de l’interprétation des données

Malgré sa capacité à traiter de grandes quantités de données, l’IA peut parfois produire des résultats difficiles à interpréter, nécessitant ainsi une validation humaine pour éviter les erreurs diagnostiques, prédictives ou pronostiques. L’effet « boîte noire » est souvent mal perçu dans le monde médical et encore plus pour des aides à la décision diagnostique sur des maladies telles que la MA. Par ailleurs, pour une utilisation en pratique clinique de routine, il est souvent essentiel que les algorithmes utilisent des données simplement accessibles et à un coût abordable. Il est peu envisageable, même si l’algorithme est performant, de pouvoir faire du multi-omics, des PET-scans et des IRM 3D à tous les patients vus en consultation.

3. Prendre en considération le biais algorithmique

Les modèles d’IA peuvent être influencés par des biais dans les données d’entraînement, ce qui peut conduire à des diagnostics incorrects ou à des recommandations de traitement inappropriées, en particulier pour les populations sous-représentées. La validation externe des résultats est primordiale. Il est également essentiel de promouvoir une représentation populationnelle réelle en intégrant de plus en plus de données de minorités.

4. La confidentialité et la sécurité des données

L’utilisation de données médicales sensibles dans les systèmes d’IA soulève des préoccupations concernant la confidentialité et la sécurité des informations des patients, nécessitant une vigilance accrue en matière de protection des données. La majorité des outils numériques et des algorithmes est déployée sur des serveurs sécurisés pour les données de santé et respectant les règles en vigueur.

5. Éthique et responsabilité

L’utilisation de l’IA dans le domaine médical soulève des questions éthiques concernant la responsabilité en cas d’erreurs ou de préjudices causés par les décisions algorithmiques, nécessitant ainsi une réflexion approfondie sur la réglementation et la gouvernance de cette technologie. La question du consentement, en particulier le e-consentement chez les patients présentant des troubles cognitifs, doit être étudiée avec le plus grand soin.

En conclusion, l’IA présente des avantages significatifs pour le diagnostic, la prédiction et le suivi des traitements de la MA, mais elle n’est pas sans défis. Les professionnels de la santé doivent être conscients de ces opportunités et limites afin d’utiliser cette technologie de manière responsable et efficace dans la prise en charge des patients atteints par cette affection neurodégénérative.

Bibliographie

1. Haeberlein SB, Aisen PS, Barkhof F et al. Two Randomized Phase 3 Studies of Aducanumab in Early Alzheimer’s Disease. J Prev Alzheimers Dis 2022 ; 9 : 197-210.
2. van Dyck CH, Swanson CJ, Aisen P et al. Lecanemab in Early Alzheimer’s Disease. N Engl J Med 2023 ; 388 : 9-21.
3. Sims JR, Zimmer JA, Evans CD et al. Donanemab in Early Symptomatic Alzheimer Disease: The TRAILBLAZER-ALZ 2 Randomized Clinical Trial. JAMA 2023 ; 330 : 512-27.
4. Scharre DW. Preclinical, Prodromal, and Dementia Stages of Alzheimer’s Disease. Identifying the correct stage of Alzheimer’s disease helps in managing risk, diagnosis, and management decisions. Pract Neurol 2019.
5. Jin Y, DuBois J, Zhao C et al. Brain MRI to PET Synthesis and Amyloid Estimation in Alzheimer’s Disease via 3D Multimodal Contrastive GAN. 14th International Workshop, MLMI 2023, Held in Conjunction with MICCAI 2023, Vancouver, BC, Canada, October 8, 2023, Proceedings, Part I.
6. Maheux E, Koval I, Ortholand J et al. Forecasting individual progression trajectories in Alzheimer’s disease. Nat Commun. 2023 ; 14 : 761.
7. Koval I, Bône A, Louis M et al. AD Course Map charts Alzheimer’s disease progression. Sci Rep 2021 ; 11 : 8020.
8. Pang M, Gabelle A, Saha-Chaudhuri P et al. Precision medicine analysis of heterogeneity in individual-level treatment response to amyloid beta removal in early Alzheimer’s disease. Alzheimers Dement 2024 ; 20 : 1102-11.