La sclérose en plaques (SEP) est une maladie auto-immune du système nerveux central qui touche des millions de personnes dans le monde. Si elle débute souvent à l’âge adulte, son évolution à long terme et son traitement chez les patients plus âgés restent des défis pour la médecine moderne. Les thérapies de haute efficacité (HET), qui incluent des traitements comme le natalizumab, le fingolimod ou encore les anticorps monoclonaux ciblant les cellules B (rituximab, ocrélizumab ou ofatumumab), sont largement utilisées pour prévenir les rechutes et ralentir l’aggravation du handicap. Cependant, chez les patients de plus de 50 ans atteints de SEP non active, la pertinence de maintenir ces traitements est une question délicate. Une récente étude française, publiée dans JAMA Neurology, apporte des réponses en s’appuyant sur les données de l’Observatoire français de la sclérose en plaques (Ofsep) [1].
L’étude a examiné 1 620 patients, extraits des 84 704 individus suivis dans la base de données Ofsep, et sélectionnés pour répondre à des critères stricts. Ces participants, âgés d’au moins 50 ans et atteints de SEP récurrente-rémittente ou secondairement progressive sans activité inflammatoire récente, étaient sous HET depuis au moins 1 an. Certains ont continué leur traitement, tandis que d’autres l’ont arrêté sans avoir programmé un switch vers une autre thérapie. Afin de garantir une comparaison équitable entre ces deux groupes, les chercheurs ont utilisé un appariement par score de propension, prenant en compte des variables comme l’âge, le type de SEP et le niveau de handicap.
L’objectif principal de l’étude était de mesurer le risque de rechute clinique ou radiologique après l’arrêt des HET. Les chercheurs ont également étudié le temps jusqu’à l’apparition d’une activité inflammatoire (rechute et/ou nouvelles lésions IRM), le temps jusqu’à la progression confirmée du handicap et l’identification des facteurs prédictifs de rechute ou de progression.
Des résultats sans appel pour le natalizumab et le fingolimod
Les conclusions de l’étude montrent qu’arrêter les HET, particulièrement ceux qui agissent sur la migration des cellules immunitaires, entraîne un risque significativement accru de rechute (Fig. 1). Le natalizumab, qui bloque temporairement l’entrée des lymphocytes dans le système nerveux central, expose les patients à un risque de rechute sept fois supérieur à celui observé chez ceux qui poursuivent leur traitement. Le fingolimod, qui empêche la sortie des lymphocytes des ganglions lymphatiques, présente également un risque élevé, avec un taux de rechute multiplié par 4,5. En revanche, les traitements anti-CD20, tels que le rituximab et l’ocrélizumab, semblent offrir une protection plus durable. Les patients ayant interrompu ces thérapies n’ont pas montré d’augmentation significative du risque de rechute pendant la période d’étude. Cette différence s’explique par le mécanisme d’action des anti-CD20, qui déplètent de façon durable les lymphocytes B responsables de l’activité inflammatoire, avec un effet prolongé même après l’arrêt du traitement.
L’étude a également révélé que les rechutes survenaient généralement dans les 4 mois suivant l’arrêt des HET comme le natalizumab ou le fingolimod. Ce délai court illustre la rapidité avec laquelle l’activité inflammatoire peut reprendre lorsque l’effet protecteur du traitement disparaît. Enfin, l’analyse multivariée a montré que l’âge était le principal élément intervenant dans le risque de rechute. En effet, on observait une diminution linéaire du risque de reprise inflammatoire de 7 %/an dans le groupe qui arrêtait les HET.
Figure 1 – Courbes de Kaplan Meier illustrant le risque de reprise d’activité inflammatoire (poussée ou nouvelles lésions IRM) dans le groupe qui continue ou arrête le traitement de haute efficacité suivant qu’il s’agisse de toute la population (A), des patients traités par natalizumab (B), des patients traités par fingolimod (C) ou des patients traités par anti-CD20 (D).
Les implications pour les patients âgés
Ces résultats posent une question cruciale : faut-il arrêter les HET chez les patients de plus de 50 ans atteints de SEP non active ? Aux vues des résultats, les réponses dépendent du traitement utilisé, mais aussi du profil clinique du patient.
Pour les thérapies comme le natalizumab et le fingolimod, l’arrêt sans transition vers une autre approche thérapeutique semble risqué, même chez des patients plus âgés. Ces médicaments, bien que très efficaces, cessent rapidement d’agir une fois interrompus, exposant le patient à un risque de rechute important, voire à une progression accélérée du handicap. À l’inverse, les traitements anti-CD20, qui agissent sur les cellules B, offrent une marge de sécurité plus importante. Leur effet persiste plusieurs mois après leur arrêt, ce qui pourrait en faire une alternative intéressante pour des patients souhaitant interrompre leur traitement de manière progressive.
Cette étude ne manque pas de soulever des comparaisons avec d’autres travaux, notamment l’essai clinique DISCOMS [2]. Ce dernier, réalisé auprès de patients de plus de 55 ans, avait rapporté un faible taux de rechutes cliniques après l’arrêt des traitements, mais concernait principalement des thérapies de moyenne efficacité (MET). L’étude Ofsep, en se concentrant sur les HET, apporte un éclairage différent et met en avant les risques spécifiques liés à ces traitements. Par ailleurs, elle illustre l’importance du mécanisme d’action des médicaments dans la gestion de la SEP à long terme.
Un autre point intéressant concerne l’évolution naturelle de la SEP chez les patients âgés. Avec l’âge, l’activité inflammatoire de la maladie tend à diminuer, mais la progression du handicap reste un problème majeur [3]. Cette dynamique doit être prise en compte dans la prise de décision clinique, tout comme le risque accru d’effets secondaires liés aux traitements prolongés, tels que les infections ou les cancers.
Les résultats de cette étude appellent à une individualisation accrue des décisions thérapeutiques. Pour certains patients, une désescalade vers des thérapies moins agressives pourrait être une option viable, permettant de limiter les risques tout en maintenant un contrôle acceptable de la maladie. Pour d’autres, en particulier ceux ayant une SEP secondairement progressive, le maintien des HET pourrait s’avérer nécessaire pour éviter une aggravation rapide du handicap.
Les cliniciens doivent également prendre en compte les préférences et les craintes des patients face à l’arrêt des traitements. L’idée d’abandonner un médicament efficace, souvent associé à une stabilité clinique, peut être source d’anxiété. Une communication claire sur les bénéfices et les risques de chaque option est donc essentielle pour accompagner les patients dans cette démarche.
Perspectives
Cette étude ouvre de nombreuses perspectives pour la recherche future. Des études longitudinales avec un suivi à plus long terme sont nécessaires pour mieux comprendre les effets de l’arrêt des HET, notamment chez les patients âgés de plus de 60 ans. Il serait également intéressant d’explorer des stratégies alternatives, comme l’exit therapy fondée sur l’utilisation de thérapie anti-CD20 ou de cladribine en relais [4], ou encore des stratégies basées sur l’utilisation de MET comme étape intermédiaire avant un arrêt définitif.
En conclusion, si cette étude apporte des réponses précieuses, elle rappelle aussi que la gestion de la SEP chez les patients âgés reste un domaine complexe, nécessitant une approche sur mesure et une évaluation continue des données scientifiques.n
L’auteur déclare avoir des liens d’intérêt avec Alexion, Biogen Idec, Bristol-Myers Squibb, Horizon Therapeutics, Merck Serono, Novartis, Roche, Sanofi-Genzyme et être membre du comité éditorial du Journal de la Ligue française contre la sclérose en plaques et de Neurology and Therapy Journal.
Bibliographie
1. Jouvenot G, Courbon G, Lefort M et al. High-Efficacy Therapy Discontinuation vs Continuation in Patients 50 Years and Older With Nonactive MS. JAMA Neurol 2024 ; 81 : 490-8.
2. Corboy JR, Fox RJ, Kister I et al. Risk of new disease activity in patients with multiple sclerosis who continue or discontinue disease-modifying therapies (DISCOMS): a multicentre, randomised, single-blind, phase 4, non-inferiority trial. Lancet Neurol 2023 ; 22 : 568-77.
3. Tremlett H, Zhao Y, Joseph J et al. Relapses in multiple sclerosis are age- and time-dependent. J Neurol Neurosurg Psychiatry 2008 ; 79 : 1368-74.
4. de Seze J, Dive D, Ayrignac X et al. Narrative Review on the Use of Cladribine Tablets as Exit Therapy for Stable Elderly Patients with Multiple Sclerosis. Neurol Ther 2024 ; 13 : 519-33.
Retrouvez dans le prochain numéro, un supplément sur les enjeux et stratégies de prise en charge des personnes âgées de plus de 50 ans atteintes de sclérose en plaques.