Chaque minute compte pour initier un traitement de reperfusion en cas d’accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique. Afin de réduire les délais de prise en charge et d’améliorer le triage des patients présentant une suspicion d’AVC, des neurologues allemands ont proposé d’ « amener l’hôpital au patient », en développant le concept de Mobile Stroke Unit (« Unité neurovasculaire mobile », UNVM) [1]. Ils ont ainsi conçu des ambulances équipées d’un scanner, d’un laboratoire de première nécessité et d’une solution de télémédecine, afin de pouvoir réaliser une thrombolyse intraveineuse (TIV) directement sur le lieu de prise en charge du patient présentant une suspicion d’AVC ischémique. Cette innovation a fait l’objet de plusieurs études comparatives et connaît une popularité croissante.
Premières expérimentations
Le concept d’UNVM a été proposé pour la première fois par le Pr Klaus Fassbender en 2003, avec pour principal objectif la réalisation d’une TIV préhospitalière [1]. Son équipe a mis en service la première UNVM en 2008, puis a réalisé le premier essai randomisé évaluant cette innovation [2]. Cette étude a été conduite en milieu semi-rural à Homburg, une petite ville allemande de la Sarre, dont le bassin de population est d’environ 300 000 habitants. Les principaux critères d’éligibilité étaient un âge entre 18 et 80 ans et la présence de symptômes évocateurs d’un AVC datant de moins de 2 heures 30 lors de la régulation téléphonique. Les patients ayant une heure de début des symptômes incertaine ou une instabilité clinique étaient exclus. La TIV n’était, à l’époque, autorisée que jusqu’à 3 heures après le début des symptômes. L’étude a été menée selon un plan de randomisation hebdomadaire : semaine « UNVM » ou prise en charge habituelle. Au cours des semaines « UNVM », cette ambulance spécialisée a été déployée pour toute suspicion d’AVC, avec à son bord un médecin formé à la prise en charge des AVC, un paramedic et un neuroradiologue. Une ambulance classique était systématiquement dépêchée en plus de l’UNVM. Le critère de jugement principal était le délai entre l’appel des secours et la décision thérapeutique concernant la TIV. L’étude a été arrêtée prématurément pour supériorité de l’UNVM à l’issue de l’analyse intermédiaire prévue à l’inclusion des 100 premiers patients (soit 50 % de l’effectif prévu). Le délai médian entre appel des secours et décision thérapeutique était de 35 minutes pour le groupe UNVM contre 76 minutes pour le groupe contrôle (différence absolue de 41 minutes, p < 0,0001). Le délai médian entre appel des secours et TIV était réduit de 34 minutes grâce à l’UNVM.
Le deuxième groupe pionnier dans le domaine des UNVM est celui du Pr Heinrich Audebert à Berlin, qui a conduit l’essai randomisé PHANTOM-S, publié en 2014 [3]. Cette étude a couvert un bassin de population de 1 million d’habitants sur les 3,3 millions que compte Berlin intra-muros, pour une superficie neuf fois supérieure à celle de Paris. L’UNVM, située dans une caserne de pompiers au centre de la ville, embarquait un neurologue vasculaire, un manipulateur radio et un chauffeur-conducteur ambulancier, formés à la prise en charge des urgences vitales. Une randomisation par semaine (« semaine UNVM » ou « semaine contrôle ») a été implémentée. Les patients étaient éligibles pour participer à l’étude s’ils se situaient dans une zone géographique prédéfinie et présentaient des symptômes évocateurs d’un AVC datant de moins de 4 heures lors de la régulation téléphonique. Seuls les appels concernant les plages horaires 7 h-23 h (7 j/7) étaient pris en compte pour l’étude. Lors des « semaines UNVM », en cas d’appel remplissant les critères d’éligibilité, l’ambulance spécialisée était déployée si elle était disponible. Simultanément, une ambulance conventionnelle de proximité était systématiquement dépêchée sur le lieu de l’intervention, permettant d’augmenter la disponibilité de l’UNVM : l’ambulance conventionnelle arrivant généralement plus précocement sur le lieu de la suspicion d’AVC, le personnel paramédical à son bord pouvait annuler en cours de route le déplacement d’UNVM si le diagnostic d’AVC semblait très improbable, ce qui s’est produit dans 19 % des cas. En cas de refus de participer à l’étude, l’UNVM était libérée et le patient transporté à l’hôpital par l’ambulance conventionnelle.
Le déploiement de l’UNVM a permis une réduction de 25 minutes du délai entre appel des secours et TIV. Cette réduction était observée malgré un délai très court pour les semaines contrôles (105 minutes). La proportion de TIV parmi les victimes d’infarctus cérébral était de 33 % en cas de déploiement de l’UNVM, contre 21 % au cours des semaines contrôles, soit une augmentation de 57 %. Au total, 31 % des TIV réalisées suite à un déploiement de UNVM étaient débutées dans l’heure suivant l’apparition des symptômes, contre 5 % au cours des semaines contrôles [4].
Malgré des résultats prometteurs, ces deux études allemandes n’étaient pas conçues pour démontrer une réduction du handicap et ont été réalisées avant l’ère de la thrombectomie mécanique.
Influence et grands essais thérapeutiques
Suite aux résultats de PHANTOM-S, de nombreuses initiatives d’UNVM ont vu le jour, en particulier aux États-Unis, sous l’impulsion du Pr James Grotta, qui a déployé la première UNVM américaine à Houston en mai 2014. Le nombre d’UNVM dans le monde continue d’augmenter chaque année [5]. Ces initiatives sont fédérées au sein du groupe PRE-hospital Stroke Treatment Organization (PRESTO) [6], qui vise à accroître la visibilité d’UNVM et à développer la mise en commun d’expériences et de protocoles de recherche.
Les UNVM sont en grande majorité utilisées uniquement en journée, hormis celle de Toledo (États-Unis) qui est disponible 24 h/24 et 7 j/7 [7]. Cependant, seules 12 % des interventions de l’UNVM de Toledo sont réalisées la nuit. En Europe, c’est le plus souvent un neurologue vasculaire, un médecin urgentiste ou un anesthésiste-réanimateur [8] qui assure la prise en charge du patient dans l’UNVM, avec un paramedic et un manipulateur radio. Dans certains centres aux États-Unis, l’UNVM n’embarque pas de médecin mais un infirmier, tandis qu’un neurologue vasculaire est contacté par télémédecine [9].
Aussi importante soit-elle, la réduction des délais de prise en charge reste un critère de jugement « mou » du point de vue de la santé des patients. Deux grandes études cliniques ont récemment évalué l’incidence de l’utilisation d’une UNVM sur le handicap fonctionnel.
L’étude berlinoise B_PROUD visait à comparer le handicap fonctionnel des patients pris en charge par l’UNVM à ceux pris en charge quand l’UNVM n’était pas disponible [10]. Pour cela, les auteurs se sont appuyés sur le registre B_SPATIAL, qui ne prenait en compte que les patients avec un diagnostic final d’infarctus cérébral ou d’accident ischémique transitoire. Les patients étaient éligibles en cas d’appel d’urgence dans la zone couverte par les trois UNVM de l’étude, présentaient des symptômes d’AVC de moins de 4 heures au moment de l’appel et pas de contre-indication manifeste à un traitement de reperfusion. Le critère de jugement principal (score de Rankin modifié [mRS] à 3 mois) était évalué en aveugle. Au total, 1 543 patients ont été inclus. L’UNVM était significativement associée à un meilleur pronostic fonctionnel à 3 mois (OR = 0,74 ; IC 95 % = 0,60-0,90 ; p = 0,003). La proportion de patients avec une excellente évolution à 3 mois (mRS 0-1) était de 51 % contre 42 % dans le bras contrôle (« nombre de patients à traiter » de 12) et une meilleure qualité de vie à 3 mois était observée dans le bras UNVM.
La deuxième étude contrôlée de grande envergure, BEST-MSU, a été conduite à Houston et dans six autres centres aux États-Unis. Les UVNM étaient disponibles une semaine sur deux, les autres semaines représentant le groupe contrôle. Les principaux critères d’inclusion étaient une présentation clinique compatible avec un AVC ischémique de moins de 4 heures 30 et l’absence de contre-indication à la TIV. Au total, 1 047 patients ont été inclus dans l’analyse principale. L’analyse du critère de jugement principal, dérivé du mRS à 3 mois, montrait une réduction significative du handicap dans le groupe UNVM. Une excellente évolution à 3 mois (mRS 0-1) était observée chez 51 % des patients du groupe UNVM contre 42 % dans le bras contrôle (« nombre de patients à traiter » de 10). Ces résultats ont été publiés dans le New England Journal of Medicine en 2021 [11].
Synthèse des données de la littérature
Une revue systématique et méta-analyse évaluant l’intérêt des UNVM a récemment été publiée dans JAMA Neurology [12]. Les 14 études identifiées comparaient le déploiement de l’UNVM aux soins préhospitaliers usuels pour les patients présentant une suspicion d’AVC ischémique. Cette synthèse de la littérature a montré que l’emploi d’une UNVM permettait une réduction de 31 minutes du délai médian entre symptômes et TIV et une forte augmentation de la probabilité d’une excellente évolution à 3 mois (OR ajusté pour mRS 0-1 = 1,64, IC 95 % 1,27-2,13, p < 0,0001). La proportion de patients traités par TIV dans l’heure suivant l’apparition des symptômes (« Golden Hour ») était multipliée par sept. L’analyse de la littérature n’a pas identifié d’élément faisant craindre des problèmes de sécurité de la TIV préhospitalière, que ce soit concernant le taux de transformation hémorragique symptomatique, la mortalité ou le risque de thrombolyser à tort un « stroke mimic ». Ces résultats encourageants sont en faveur du déploiement plus large d’UNVM au sein de zones géographiques disposant d’une organisation des soins similaires à celles de Berlin ou de Houston, villes au sein desquelles la grande majorité des patients a été prise en charge. Il est cependant à noter la persistance d’une incertitude concernant l’intérêt d’une UNVM dans les deux situations suivantes : le milieu rural, qui a été jusqu’à présent très peu étudié [2], et les villes à forte densité de population et disposant de plusieurs centres de thrombectomie. Il est ainsi à noter que cette méta-analyse n’a pas montré de réduction significative des délais jusqu’à la réalisation d’une thrombectomie. Il est par ailleurs crucial de tenir compte du coût important des UNVM, qui varie de 250 000 dollars à plus d’un million d’euros. Des évaluations médico-économiques sont donc indispensables avant de déployer des UNVM au sein de nouveaux territoires.
Et en France ?
Un premier projet français d’UNVM est en gestation prolongée mais devrait prochainement voir le jour dans le cadre de l’étude randomisée ASPHALT (Acute Stroke Prehospital versus inHospitAL initiation of recanalization Therapy), coordonnée par le Pr Guillaume Turc (GHU Paris psychiatrie et neurosciences, Hôpital Sainte-Anne) et le Pr Benoît Vivien (Samu de Paris). Cette étude médico-économique randomisée vise à déterminer si le déploiement d’une UNVM en cas d’infarctus cérébral ≤ 6 h au moment de l’appel des secours (15 ou 18) présente, par rapport à la prise en charge habituelle, un ratio coût-utilité acceptable. Le critère clinique essentiel sera le niveau de handicap fonctionnel à 3 mois (mRS), évalué en aveugle de la prise en charge initiale. Ce projet conçu à partir de 2013 connaît un très important retard du fait de nombreux obstacles réglementaires, administratifs et techniques. Actuellement, les principales autorisations réglementaires ont été obtenues et la construction de l’UNVM vient de se terminer (Figures 1 et 2), ce qui devrait permettre de lancer l’étude au premier semestre 2023. Il est prévu dans un premier temps que l’UNVM soit localisée au Samu de Paris et desserve Paris intra-muros, avant un déploiement au sein d’une autre zone géographique si le financement de la recherche le permet. Une randomisation 1 pour 1 (bras UNVM ou bras contrôle) sera réalisée au moment de l’appel téléphonique pour une suspicion d’AVC datant de moins de 6 heures. L’ambulance embarquera un médecin urgentiste formé à la prise en charge des AVC, un manipulateur radio et un chauffeur-conducteur ambulancier, en lien par télémédecine avec l’équipe neurovasculaire de l’hôpital Sainte-Anne. Au sein de l’UNVM, un angioscanner pourra être réalisé afin d’initier une TIV immédiatement sur les lieux de l’AVC et d’orienter directement le patient en salle de thrombectomie, si ce geste est indiqué. Il est prévu d’inclure 450 patients présentant un infarctus cérébral au cours d’une période de 3 ans.
Perspectives
L’intérêt potentiel des UNVM dépasse l’optimisation du « triage » préhospitalier [13] et la prise en charge des infarctus cérébraux nécessitant un traitement de reperfusion [12]. Les UNVM pourraient également être intéressantes pour la prise en charge des hémorragies cérébrales, permettant d’initier très précocement un traitement antihypertenseur, et d’antagoniser un traitement anticoagulant [5]. Elles ouvrent également d’importantes perspectives de recherche pour évaluer l’administration précoce de stratégies de neuroprotection, et le développement de nouveaux outils diagnostiques et pronostiques.
Conclusion
Les UNVM représentent une innovation dont la popularité est croissante dans le monde. Elles permettent une réduction d’une demi-heure du délai pour l’initiation d’une TIV et une augmentation considérable de la proportion de patients traités dans les 60 minutes suivant le début des symptômes. Deux grandes études non-randomisées ont également montré que les UNVM permettent une réduction du handicap fonctionnel, malgré un nombre important de déclenchements futiles. Cependant, cette innovation est coûteuse, et son intérêt en France devra être évalué au sein d’une étude médico-économique avant un déploiement à plus grande échelle.
Correspondance
g.turc@ghu-paris.fr
Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt.
Bibliographie
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3. Ebinger M, Winter B, Wendt M et al. Effect of the use of ambulance-based thrombolysis on time to thrombolysis in acute ischemic stroke: a randomized clinical trial. JAMA 2014 ; 311 : 1622-1631.
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