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Vincent Morel : « les philosophes peuvent nous aider à prendre des décisions éthiques »

À l’occasion de la 26e édition des Rencontres de Neurologies, Vincent Morel, chef du service de soins palliatifs, pneumologue, et président du comité d’éthique du CHU de Rennes revient sur les questions éthiques issues de l’incrémentation automatique des comptes rendus d’imagerie sur « Mon espace santé ».

Neurologies : Quel sujet avez-vous présenté lors des dernières Rencontres de Neurologies ?

Vincent Morel : J’ai participé à la conférence « Quand l’obligation d’information du patient suite à un examen d’imagerie génère une tension éthique », dans laquelle le Pr Florence Lejeune m’avait invité à échanger avec elle comme président du comité d’éthique du CHU de Rennes sur les enjeux éthiques soulevés par l’incrémentation automatique des comptes rendus d’imagerie sur « Mon espace santé » et sur les réflexions découlant de la question des comptes rendus disponibles pour les patients sur leur espace santé.

Quelles en ont été les conclusions ?

La question du caractère automatique de l’incrémentation de ces comptes rendus s’est d’abord posée, sachant que le patient peut tout à fait refuser d’ouvrir son espace santé et que le praticien est en capacité de décaler la diffusion du compte rendu.
Néanmoins, ce qui interroge, c’est la manière dont l’accès à ces données numériques peut soulever des questions éthiques.
En particulier, comment associer cette mise en lien du compte rendu avec les recommandations de bonnes pratiques concernant, par exemple, l’information due aux patients ou l’annonce d’une mauvaise nouvelle ?
Les outils éthiques pouvant aider à analyser cette question ont également été évoqués.
Les quatre grands principes de Beauchamp et Childress – autonomie, bienfaisance, non-malfaisance et justice – permettent d’éclairer cette réflexion, selon que l’on place le patient, le praticien ou « Mon espace santé » au cœur du questionnement. Il apparaît que l’intégration du praticien, du médecin et du patient dans le triangle « Je, Tu, Il » de Paul Ricœur (Fig. 1) apporte une perspective différente et met en évidence les tensions éthiques existantes.
Par exemple, pour le patient, l’accès aux comptes rendus sur son espace santé présente un intérêt certain, mais il peut aussi être confronté à la découverte de résultats seul, sans accompagnement.
Pour le praticien, la transmission automatique des comptes rendus peut être une sécurité contre l’oubli, mais ne risque-t-elle pas d’altérer la relation avec le patient ?
Pour les pouvoirs publics, cette démarche facilite la prise en charge, mais comment garantir le respect du patient qui ne souhaite pas être informé, alors même que le compte rendu est mis en ligne automatiquement ?
Toutes ces questions ont été analysées en évitant de se disperser sur d’autres enjeux éthiques connexes.
Un point particulier a été soulevé à propos des patients atteints de la maladie d’Alzheimer, qui pose un nombre considérable de dilemmes éthiques.
Finalement, lorsqu’une question éthique émerge, la recherche se porte vers la solution la moins insatisfaisante, afin de trouver un équilibre entre l’idéal et la décision à prendre.
L’essentiel est sans doute de mener une réflexion approfondie sur ces enjeux éthiques et de déterminer comment décider au mieux pour un patient, plutôt que de porter un jugement hâtif sur la qualité de « Mon espace santé ».

Figure 1 – Le triangle éthique du philosophe Paul Ricœur, mis en avant dans son livre Soi-même comme un autre paru en 1990, offre un cadre de réflexion pour les personnels de santé. Dans le domaine de la santé « Je » serait le médecin, « Il » le patient et « Tu » le praticien.

Comment le patient peut-il participer à cette démarche éthique ?

Les patients participent aux démarches éthiques, en particulier dans les espaces éthiques régionaux, dans les comités d’éthique ou alors au Comité consultatif national d’éthique (CCNE). Des structures de réflexion éthique existent à tous les niveaux, que ce soit à l’échelle d’un établissement, d’une région ou nationale. Dans tous ces dispositifs de réflexion éthique, les patients, les usagers et les familles sont des pièces maîtresses dans la réflexion.

Quelles sont les demandes des médecins ?

On s’aperçoit que les médecins ont appris à réfléchir à un certain nombre de questions très médicales et qu’ils ont peu appris à mobiliser des outils réflexifs. L’approche éthique apporte ces outils.
Cela peut être l’approche conséquentialiste, déontologique, l’approche par les quatre grands principes éthiques ou encore l’utilisation du concept du triangle de Ricœur. Ces outils vont permettre d’éclairer une question complexe pour que le praticien, à défaut de se dire qu’il a pris la bonne décision, puisse déterminer qu’il a pris la décision la moins insatisfaisante. Cette démarche nécessite un apprentissage, de le faire, de le refaire et de l’apprendre.
La formation médicale manque parfois de cet apprentissage répété et développé de l’éthique. Nous trouvions intéressant, dans cette session, de se dire que les philosophes peuvent nous aider à prendre des décisions éthiques.

Comment est abordée l’éthique dans la formation médicale ?

Dans toutes les formations médicales, il y a maintenant des cours d’éthique, de philosophie, mais qui sont positionnés généralement au début de la formation, en première et deuxième année. L’apprentissage sera ensuite beaucoup plus technique. Souvent, le professionnel de santé se retrouve de nouveau confronté à ce genre de questions lorsqu’il est interne ou jeune médecin. Et il n’a peut-être pas suffisamment d’outils pour pouvoir réfléchir à ces questions.
Il est intéressant de se dire qu’en allant du côté de la philosophie, du côté de ceux qui pensent à des questions complexes, nous allons pouvoir avoir des éclairages. Réfléchir à plusieurs permet aussi d’avoir des décisions plus stables. L’idée, à chaque fois que nous sommes confrontés à un problème éthique, c’est d’éviter d’être dans un débat dichotomique, de dire « c’est bien », « ce n’est pas bien » ou « on est pour », « on est contre ». Il faut plutôt être à l’écoute et, entre le blanc et le noir, essayer de trouver les zones de gris qui vont convenir aux patients.

Quelle est la place de l’État ?

À l’échelon de l’organisation des réflexions éthiques, l’État l’organise à deux niveaux. Au niveau national, avec le Comité d’éthique national, qui a été sollicité dernièrement sur les questions sur la fin de vie ; et il organise aussi des espaces éthiques régionaux.
L’État agit aussi de façon réglementaire, en exigeant des comités d’éthique et de déontologie dans les universités et les établissements de santé.
La question éthique émerge clairement, d’autant plus que les situations cliniques se complexifient, que la médecine est probablement devenue plus exigeante, et qu’il ne suffit plus aujourd’hui de se demander « Comment fait-on ? ». Il est également nécessaire de s’interroger sur « Doit-on le faire ? » et « Comment doit-on le faire ? »

Face à la fin de vie. Vincent Morel. Éditions Presses universitaires de Rennes, collection Épures, mars 2025, 122 pages, 10 €.