L'expertise scientifique

Hypoesthésie mentonnière: partie émergée de l’iceberg

Madame M., 19 ans, est hospitalisée en urgence pour un état de mal névralgique. Elle présente une douleur permanente en territoire V3 gauche qui s’aggrave progressivement depuis quelques jours, à laquelle s’ajoutent de multiples accès hyperaigus quotidiens avec trigger, notamment masticatoire, altérant la prise alimentaire. Cliniquement, elle présente un nystagmus horizonto-rotatoire dans les regards latéraux et une ataxie cérébelleuse.
La patiente rapporte l’absence d’antécédent notable, mais mentionne une hypoesthésie mentonnière gauche apparue plusieurs années auparavant pour laquelle aucune imagerie cérébrale n’avait été proposée.
L’IRM cérébrale réalisée aux urgences retrouve une volumineuse masse de l’angle pontocérébelleux gauche hétérogène en T2-FLAIR (A), hyperintense en diffusion (B) et hypointense en T1 (B), sans rehaussement après injection de gadolinium. La lésion exerce un effet de masse sur le tronc cérébral et les nerfs crâniens adjacents, envahit la petite circonférence du cervelet et communique avec les espaces sous-arachnoïdiens. Il n’existe par ailleurs pas d’anomalie sus-tentorielle. Le diagnostic de kyste épidermoïde est alors évoqué par l’équipe de neuroradiologie.

La prise en charge symptomatique par antalgie multimodale (antidépresseur tricyclique, antiépileptiques et corticoïdes) permet une diminution partielle de la douleur. L’exérèse neurochirurgicale est réalisée dans la semaine et l’analyse anatomopathologique confirme le diagnostic de kyste épidermoïde.
En post-opératoire, la patiente n’est plus douloureuse. Elle conserve l’hypoesthésie mentonnière gauche et présente une diplopie binoculaire postopératoire par atteinte du VI gauche, résolutive en 3 mois.
Les kystes épidermoïdes sont des tumeurs cérébrales congénitales rares se développant à partir de reliquats épidermiques lors de la fermeture du tube neural entre la 3e et la 5e semaine de la vie embryonnaire [1]. Le plus souvent bénins, ils peuvent occasionnellement se compliquer de dégénérescence maligne [2]. Ces kystes se développent préférentiellement en région parasellaire ou dans l’angle pontocérébelleux. Leur croissance lente explique un diagnostic généralement tardif, vers la 4e ou 5e décennie, secondaire à la compression des structures neurovasculaires avoisinantes. Sur l’IRM, l’hypersignal franc en diffusion d’une lésion au contact des citernes de la base, en l’absence de rehaussement, oriente fortement vers le diagnostic. La prise en charge repose sur une exérèse neurochirurgicale, mais celle-ci est rarement complète en raison des adhérences fréquentes aux structures vasculonerveuses, expliquant ainsi un risque élevé de récidive.

Bibliographie

1. Patibandla MR, Yerramneni VK, Mudumba VS et al. Brainstem epidermoid cyst: An update. Asian J Neurosurg 2016 ; 11 : 194-200.
2. Roh TH, Park YS, Park YG et al. Intracranial squamous cell carcinoma arising in a cerebellopontine angle epidermoid cyst: A case report and literature review. Medicine 2017 ; 96 : e9423.