L'expertise scientifique

La médecine en vie réelle : une alternative plausible à la médecine fondée sur les preuves ?

La médecine fondée sur les preuves (l’evidence-based medicine des anglo-saxons) est devenue l’alpha et l’oméga de la pensée médicale universitaire. Nous avons assisté, ces dernières semaines, à des combats d’ego entre les gardiens du temple, les défenseurs de la doctrine (qui défendent parfois la lettre plus que l’esprit) et, face à eux, les tenants d’une attitude médicale pragmatique, souvent présentés comme des déviants et des parias de la science médicale.
Il est temps d’analyser ce qu’est réellement la médecine fondée sur les preuves, quels en sont les avantages et les limites, et d’envisager les variantes possibles.

L’avènement de la médecine fondée sur les preuves

La médecine fut longtemps considérée comme un art reposant sur le sens clinique, la dextérité et l’expertise du praticien.
Puis, du XVIIe au XIXe siècles, triomphe la méthode anatomoclinique, avec l’école française, représentée notamment par Bichat, Laennec et Charcot. Les hôpitaux concentrent les malades, facilitant l’observation des symptômes et la classification nosologique des états pathologiques ; l’analyse sémiologique est mise en relation avec les constatations des lésions anatomiques après la mort du patient. La maladie est envisagée comme une entité propre, les caractéristiques personnelles du patient étant perçues comme une source d’interférence avec le développement naturel de la pathologie. À la fin du XIXe siècle, Claude Bernard ouvre la voie de la médecine expérimentale, suggérant notamment la pratique de l’expérimentation en aveugle pour garantir l’objectivité des observations, ce qui est le socle de nos essais cliniques actuels.
Le XXe siècle se caractérise ensuite par des progrès scientifiques considérables et l’application des règles du raisonnement scientifique à la médecine. Le développement de l’industrie pharmaceutique et la production industrielle des médicaments imposent la réalisation d’essais cliniques qui comparent un nouveau traitement à un placebo (plus rarement à un traitement de référence) ; les traitements sont administrés, après tirage au sort, à des groupes homogènes de patients sélectionnés pour répondre à des critères permettant de limiter des divergences interindividuelles trop importantes, et ces traitements sont délivrés à l’insu du patient et de l’observateur. Les lois de la statistique s’imposent. La personnalisation des soins s’efface devant la loi des nombres. C’est ainsi qu’apparaît à la fin du XXe siècle l’Evidence Based Medicine (EBM). Elle prend naissance au début des années 1980 à l’Université de McMaster, au Canada. Initialement conçue comme une méthode d’enseignement, où la recherche de preuves constituait un apprentissage au raisonnement (1), elle devient en quelques années une méthodologie qui s’applique à la pratique clinique. Le projet initial est d’intégrer les données issues de la recherche à la décision médicale, à côté du jugement du médecin fondé sur l’expérience et en tenant compte des souhaits du patient (2) (Fig. 1). Mais le succès de la méthode conduit rapidement à des excès : elle est intégrée par la Cochrane collaboration et s’impose bientôt à l’évaluation des pratiques médicales et de la qualité des soins. L’EBM triomphe et devient le fondement de la «science médicale». Les bonnes pratiques médicales reposent désormais sur l’application de recommandations issues des résultats des essais cliniques randomisés et sur les méta-analyses de ces essais. Notre pratique médicale est fondée sur des démonstrations objectives apportées par les essais cliniques et leurs méta-analyses.

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