Il y a de ces entités syndromiques qui font partie des classiques diagnostics différentiels dont le nom est parfois cité en congrès sans jamais être approfondis. L’encéphalite de Weston-Hurst fait partie de ces syndromes que nous ne pensions pas croiser, et qui pourtant mériterait un arrêt sur image, car potentiellement curable lorsque le diagnostic est posé précocement.
Le diagnostic est mieux connu des neuropédiatres, puisque l’encéphalite de Weston-Hurst, autrement appelée leuco-encéphalopathie aiguë nécrotico-hémorragique (ANHLE) est en fait une forme particulièrement sévère d’encéphalopathie aiguë disséminée (ADEM), une atteinte démyélinisante post-infectieuse fulminante du système nerveux central touchant majoritairement les enfants. Heureusement peu fréquentes chez l’adulte, ces encéphalites post-infectieuses sont malgré tout passées sur le devant de la scène neurologique avec l’épidémie mondiale de Covid-19, qui, à l’image d’autres virus à tropisme respiratoire comme la grippe, semble pourvoyeur de complications neurologiques à médiation immunitaire.
Cas clinique
Parlons maintenant du cas de Philippe (prénom modifié), un ingénieur biologiste de 55 ans admis en réanimation en février 2022 pour une désaturation à J10 d’infection au Sars-CoV-2. Philippe est un patient typiquement à risque de Covid grave puisqu’il est obèse (IMC 33), hypertendu sous irbésartan, appareillé pour un syndrome d’apnées obstructives du sommeil et non vacciné. Le traitement initial associe une corticothérapie par dexaméthasone 6 mg/j, une ventilation non invasive (VNI), et des antibiotiques devant une suspicion de surinfection bactérienne. L’état respiratoire se dégrade malgré tout et Philippe est intubé/sédaté à J14 du début des symptômes. Par la suite, l’évolution pulmonaire est heureusement favorable permettant une levée des sédations à J22.
Mais, alors que la sédation est levée depuis 4 jours, Philippe ne montre aucun signe de réveil. L’examen neurologique est pauvre, ne dévoilant pas de signe de focalisation, notamment pas de syndrome pyramidal, pupilles isochores réactives, réflexe cornéen présent. Il présente donc un tableau de coma (GCS6 Y1V1M4) inexpliqué, alors que l’infection respiratoire au Sars-CoV-2 est en apparence guérie. Un EEG est réalisé, retrouvant une activité thêta symétrique réactive à la stimulation ; le scanner cérébral montre une lésion hémorragique occipitale droite de 3 cm de grand diamètre n’expliquant pas l’état clinique ; et c’est finalement l’IRM cérébrale qui dévoile la cause des troubles de la conscience (Fig. 1 à 4).
La ponction lombaire réalisée dans la foulée montre une méningite stérile à polynucléaires neutrophiles, protéinorachie à 0,54 g/l, PCR multiplex, lactates et glycorachie normaux, examen direct et culture négatifs. Dommage, la recherche de Sars-CoV-2 par PCR dans le LCR n’a pas été réalisée. Les lésions de la substance blanche bilatérale nécrotico-hémorragiques avec prise de contraste et un aspect en cocarde dans ce contexte orientent vers un processus inflammatoire démyélinisant post- ou para-infectieux. Le diagnostic d’encéphalopathie aiguë hémorragique de Weston-Hurst est évoqué et un traitement d’épreuve est mis en route par bolus de corticoïde 1 g/j pendant 5 jours suivi de cinq échanges plasmatiques. L’amélioration neurologique est ensuite flagrante avec une récupération de la conscience, extubation et progression sur le plan moteur.
Figure 1 – Présence d’hypersignaux confluents symétriques de substance blanche en FLAIR sus et sous-tentoriels en restriction de diffusion dont certains prennent un aspect hétérogène en cocarde.
À gauche : FLAIR. À droite : diffusion.
Figure 2 – Séquence T1 avec injection de gadolinium. Prise de contraste diffuse sous et sus-tentoriel témoignant d’une rupture de la barrière hémato-encéphalique notamment au niveau de l’hématome intraparenchymateux occipital droit ; mais aussi ponctiforme de la substance blanche et des noyaux gris centraux ainsi que linéaire corticale en occipital et frontal gauche.
Figure 3 – Séquence T2 écho de gradient. Hématome parenchymateux lobaire occipital droit. Pétéchies hémorragiques au niveau cérébelleux droit, des noyaux gris centraux, mais aussi en regard du centre de certaines des lésions en cocarde visibles en flair/diffusion faisant suspecter un remaniement hémorragique.
Figure 4 – Reconstruction TOF. Pas d’anomalie visible des artères intracrâniennes.
La leucoencéphalopathie aiguë nécrotico-hémorragique
L’ANHLE a été décrite pour la première fois sur autopsie en 1941 par les Dr Weston et Hurst à qui elle doit son nom propre. Les deux patients décrits, qui étaient âgés de 33 ans et antérieurement en bonne santé, avaient présenté une encéphalopathie fulminante avec altération des fonctions cognitives, céphalées, fébricule, crises d’épilepsie suivies rapidement de troubles de la conscience puis du décès. Les lésions retrouvées à l’anatomo-pathologie associaient une atteinte sévère de la paroi des petits vaisseaux intracérébraux, une nécrose périvasculaire, des lésions démyélinisantes focales et des éléments hémorragiques diffus de la substance blanche épargnant la substance grise en faveur d’une atteinte démyélinisante. Les recherches microbiologiques étaient négatives, suggérant un mécanisme inflammatoire plutôt qu’infectieux [1].
Épidémiologie
Depuis 1941, de nombreux cas d’encéphalopathie de Weston-Hurst ont été décrits dans la littérature, mais cette pathologie reste très rare, et il est difficile d’obtenir une prévalence fiable [2]. Le mécanisme post-infectieux ainsi que les lésions inflammatoires démyélinisantes en anatomopathologie suggèrent une continuité syndromique avec l’ADEM ; mais aussi avec certaines formes immuno-induites de PRES (posterior-reversible encephalopathy syndrome) [3]. Alors que l’ADEM prédomine nettement chez les enfants sans distinction de sexe, l’ANHLE semble plus fréquente chez les adultes avec une prédominance masculine (60 %). Survenant typiquement dans les jours et les semaines après une réaction immunitaire faisant suite à une infection ou un vaccin, elle fait partie des encéphalites post- ou para-infectieuses dans le sens où, même si le facteur déclenchant peut être infectieux, le mécanisme cytotoxique ensuite semble purement inflammatoire. Le pronostic de l’ANHLE est plus sévère que l’ADEM avec une mortalité dépassant souvent les 50 % dans les publications [2, 4].
Diagnostic
Il n’existe pas de critère diagnostic établi de l’ADEM chez l’adulte et a fortiori de l’AHNLE. Le diagnostic repose donc sur un faisceau d’arguments cliniques et radiologiques. Concernant l’AHNLE, la cinétique d’apparition post-infectieuse ou vaccinale sans germe identifié sur le LCR avec encéphalopathie sub-aiguë et troubles de la conscience sont des indices solides. Le diagnostic peut ensuite être évoqué devant l’imagerie cérébrale associant des atteintes démyélinisantes étendues confluentes d’allure inflammatoire à des lésions nécrotico-hémorragiques. Les descriptions radiologiques des lésions inflammatoires semblent assez hétérogènes, mais montrent généralement une prédominance à l’étage supra-tentoriel, parfois asymétrique, se limitant parfois aux noyaux gris centraux et aux thalami. Concernant les lésions hémorragiques, une grande variabilité de descriptions existe dans la littérature, avec dans certains cas des pétéchies ou microbleeds nombreux diffus profonds ou sous-corticaux, et dans d’autres des hématomes de plus grand volume. Le LCR montre la plupart du temps une réaction cellulaire méningée modérée (lymphocytes ou PNN) avec une hyperprotéinorachie < 1 g/l, mais des résultats très hétérogènes sont décrits dans la littérature. L’examen direct et la culture sont négatifs, tout comme les recherches virales par PCR [2].
Mécanismes physiopathologiques
Les mécanismes physiopathologiques de l’ADEM et l’ANHLE sont inconnus, mais l’hypothèse la plus souvent avancée est celle de la réactivité croisée, autrement appelée mimétisme moléculaire, entre la myéline et un épitope viral ou bactérien, déclenchant une auto-activation immunitaire cellulaire (LcT) et/ou humorale [2, 4]. Bien que nécessaire à la défense de l’organisme vis-à-vis des agents pathogènes extérieurs, une activation immunitaire prolongée peut provoquer un état inflammatoire systémique excessif sous la forme d’un orage cytokinique néfaste pour l’organisme. Ce mécanisme est bien connu des réanimateurs puisque souvent incriminé dans le syndrome de détresse respiratoire aigu lié à l’infection par le Sars-CoV-2 [5]. Les effets de l’orage cytokinique du Covid sur le système nerveux central sont mal connus, mais on peut facilement imaginer qu’il puisse être responsable d’une rupture de la barrière hémato-encéphalique, et entraîner des lésions tissulaires sans pathogénicité directe du virus.
Lien avec le Covid-19
Un certain nombre de cas d’encéphalites aiguës post- et/ou para-infectieuses suite à un Covid a été constaté depuis le début de l’épidémie. Comparativement aux ADEM/ANHLE pédiatriques classiques, ces dernières ont étés décrites plus majoritairement chez des cinquantenaires, peut-être du fait de l’épidémiologie propre à ce virus qui atteint moins les enfants, ou avec des formes plus souvent asymptomatiques et donc non diagnostiquées. Une méta-analyse publiée en août 2021 faisait état de 46 cas d’ADEM dont 15 ANLHE post-Covid [6] ; avec une prédominance d’hommes (61 %), et de Covid graves (67 % intubés) bien qu’un certain nombre de cas ambulatoires ait été décrit (17 %). Le délai entre les premiers symptômes du Covid et l’atteinte neurologique était très variable, mais majoritairement décrit dans les 30 premiers jours. La population était très hétérogène tant sur le plan de la sévérité de l’atteinte neurologique que des descriptions radiologiques sur l’IRM [7]. Ce profil épidémiologique a ensuite été confirmé par une seconde revue publiée en janvier 2022 ajoutant huit nouveaux cas décrits d’ANHLE dans l’intervalle, malheureusement mortels pour la plupart [8].
Traitement
La très grande rareté de ce syndrome explique l’absence de recommandation thérapeutique précise, mais il semble logique, au vu de la similarité physiopathologique, de traiter l’ANHLE de la même manière que l’ADEM ; tout en gardant en tête la différence de pronostic évolutif entre ces deux entités qui encouragerait à utiliser un traitement plus agressif pour l’ANHLE. Les traitements les plus couramment proposés par ordre de fréquence sont les corticoïdes parfois en bolus de 1 g/j pendant 3 à 5 jours, suivis des immunoglobulines intra-veineuses puis des échanges plasmatiques [7, 8]. Une association est parfois utilisée comme dans notre cas où l’absence d’évolution à l’issue de 5 jours de bolus quotidien de corticoïdes nous a poussé à réaliser les échanges plasmatiques, permettant une évolution franchement favorable.
Suite et fin du cas clinique
Revenons à Philippe, patient sans lequel cet article n’aurait jamais vu le jour. C’est un cas typique qui illustre parfaitement un syndrome donné puisque respectant scrupuleusement son épidémiologie, sa présentation clinique, paraclinique, ainsi que sa réponse au traitement : en l’occurrence le syndrome de Weston-Hurst post-infection au Sars-CoV-2 survenant comme on l’a vu dans le mois suivant l’infection pulmonaire, préférentiellement chez l’homme âgé d’une cinquantaine d’années souffrant d’une forme grave de Covid-19, et présentant des troubles de la vigilance associés à des lésions nécrotico-hémorragiques démyélinisantes de la substance blanche.
Le souvenir que nous garderons de ce cas clinique sera associé au soulagement d’avoir pu obtenir une issue favorable grâce au traitement précoce par échanges plasmatiques, ce qui contredit pour cette fois les statistiques associées à cette pathologie dans la littérature. Ainsi, Philippe a rapidement retrouvé un niveau de conscience normal sans trouble cognitif apparent. Il conservait aux dernières nouvelles une tétraparésie mixte à la fois centrale, mais aussi séquellaire d’une neuropathie de réanimation d’évolution très encourageante avec la possibilité de tenir assis à M+2, et de réaliser les transferts seul à M+3. Il est parti en centre de rééducation et nous sommes dans l’attente du contrôle de son IRM cérébrale qui ne manquera pas de montrer une régression extraordinaire des lésions observées initialement.
Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt.
Bibliographie
1. Hurst EW. Acute haemorrhagic leucoencephalitis: a previously undefined entity. Med J Aust 1941 ; 2 : 16.
2. Grzonka P, Scholz MC, De Marchis GM et al. Acute hemorrhagic leukoencephalitis: A case and systematic review of the literature. Front Neurol 2020 ; 11 : 899.
3. Franceschi AM, Ahmed O, Giliberto L, Castillo M. Hemorrhagic posterior reversible encephalopathy syndrome as a manifestation of COVID-19 infection. AJNR Am J Neuroradiol 2020 ; 41 : 11736.
4. Javed A, Khan O. Acute disseminated encephalomyelitis. Handb Clin Neurol 2014 ; 123 : 70517.
5. Kim JS, Lee JY, Yang JW et al. Immunopathogenesis and treatment of cytokine storm in COVID-19. Theranostics 2021 ; 11 : 31629.
6. Manzano GS, McEntire CRS, Martinez-Lage M et al. Acute disseminated encephalomyelitis and acute hemorrhagic leukoencephalitis following COVID-19. Neurol Neuroimmunol Neuroinflammation 2021 ; 8 : e1080.
7. Sriwastava S, Tandon M, Podury S et al. COVID-19 and neuroinflammation: a literature review of relevant neuroimaging and CSF markers in central nervous system inflammatory disorders from SARS-COV2. J Neurol 2021 ; 268 : 444878.
8. Gelibter S, Bellavia G, Arbasino C et al. Encephalopathy as a prognostic factor in adults with acute disseminated encephalomyelitis following COVID-19. J Neurol 2022 ; 269 : 2293300.