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Aspects électro-encéphalo­graphiques de l’encéphalopathie métabolique

Encéphalopathie métabolique

L’encéphalopathie métabolique ou toxique (EMtb) témoigne d’une souffrance cérébrale diffuse, secondaire à une ou plusieurs défaillances d’organes (insuffisance hépatique, insuffisance rénale, insuffisance respiratoire), un trouble ionique ou endocrinien, la présence d’un xénobiotique (médicament ou substance exogène non médicamenteuse) et plus rarement de l’accumulation d’une substance endogène dans certaines maladies innées du métabolisme.
Cliniquement, l’EMtb se présente par des troubles non spécifiques associant de manière diverse une altération de la conscience, allant de la confusion légère au coma, des troubles cognitivo-comportementaux, des mouvements anormaux (asterixis, myoclonies), et cela, le plus souvent en l’absence de signes de localisation neurologique [1, 2]. Plus rarement, des crises d’épilepsie focales ou généralisées, voire un état de mal épileptique, peuvent s’ajouter à ce tableau.
L’EMtb est fréquente chez les patients âgés et hospitalisés, particulièrement en réanimation. Cela s’explique à la fois par le terrain et le nombre de médicaments prescrits. En raison de son accessibilité au lit du malade, de son faible coût, de son caractère non invasif et de son excellente résolution temporelle, l’EEG est l’outil de choix pour détecter et monitorer l’EMtb. Il permet également de rechercher d’éventuelles crises d’épilepsie surajoutées, voire de mettre en évidence un état de mal épileptique infra-clinique, d’évaluer la profondeur de l’EMtb et son pronostic.

Encéphalopathie hépatique clinique et minime

L’encéphalopathie hépatique (EH) est une encéphalopathie métabolique secondaire à une atteinte du foie et/ou à un shunt porto-systémique. Son diagnostic peut être difficile, dans les formes peu symptomatiques (encéphalopathie hépatique minime) ou au contraire lors des formes graves pouvant conduire en réanimation, circonstance dans laquelle de nombreux facteurs confondants coexistent.
Lors de l’EH, les modifications de l’EEG sont corrélées à la sévérité de l’EH : apparaît d’abord un ralentissement de la fréquence de l’activité de fond de veille, puis surviennent des ondes dans la bande de fréquence thêta (4-8 Hz) en bouffées, puis continues. Plus l’EH est profonde, plus s’ajoutent à ce tracé des ondes delta (1-3 Hz), amples et à prédominance antérieure, pouvant devenir triphasiques.
Une onde triphasique (OT) typique a une fréquence de 1,5-3 Hz, elle présente – comme son nom l’indique – trois composantes successives : une première composante négative (vers le haut), puis une composante positive (vers le bas), ample (> 70 µV) un peu aiguë, suivie d’une déflection négative lente [3] (voir figures). Son origine a récemment été mise en évidence dans le lobe frontal [4].
Lorsque l’EH est très sévère, l’EEG peut alors montrer une activité delta diffuse, et devenir aréactif. Au maximum, l’EEG peut prendre un aspect isoélectrique, témoin d’une souffrance cérébrale majeure. Il est à noter cependant que cet aspect peut être résolutif et n’est donc pas toujours associé à un mauvais pronostic neurologique [5].
Ces différents stades de l’EEG ont permis de réaliser une classification de la gravité de l’EH : la classification de Child [6, 7], corrélée à la mortalité [5] (Tab. 1).

Des données récentes suggèrent que l’EEG pourrait également être un outil prometteur pour le diagnostic de l’EH minime grâce à l’analyse spectrale et des dispositifs de recueil simplifié [8].
La figure 1 montre un exemple de tracé EEG d’encéphalopathie hépatique profonde, stade 4a.

Figure 1 – Encéphalopathie hépatique grade 4a.
Tracé EEG en montage bipolaire, montrant un tracé delta continu, aréactif, stade 4a selon classification de Child.

Encéphalopathie hyperurémique

L’insuffisance rénale aiguë peut se manifester à l’EEG par un ralentissement du rythme de fond, la survenue de bouffées thêta généralisées à prédominance antérieure, d’OT et d’éléments pointus (pointes, pointes lentes). Ces anomalies ont tendance à s’améliorer lors du sommeil, sont corrélées à la gravité de l’insuffisance rénale et se stabilisent avec la dialyse.
Des anomalies EEG plus discrètes peuvent s’observer lors de l’insuffisance rénale chronique, avec un ralentissement de l’activité de fond et une altération des figures du sommeil [9, 10].

Encéphalopathie et glycémie

Lors d’une hypoglycémie, l’EEG montre un ralentissement diffus et symétrique, pouvant aller jusqu’à l’aplatissement du tracé. Ce ralentissement est corrélé à la profondeur de l’hypoglycémie, mais moins bien corrélé à l’importance des signes cliniques. La topographie des ondes lentes est également corrélée à la profondeur de l’hypoglycémie : antérieure pour des hypoglycémies modérées, plus postérieure pour des hypoglycémies profondes. Le tracé de sommeil peut également être altéré, avec un ralentissement global [11, 12]. Fréquemment, l’hypoglycémie peut être à l’origine de crises d’épilepsie, avec à l’EEG des éléments épileptiques intercritiques ou organisés en crise électrique.
L’hyperglycémie, en particulier lors d’un coma acido-cétosique, met en évidence un tracé d’encéphalopathie aspécifique, ou de possibles ondes triphasiques, LPDs (Lateralized Periodic Discharges, FIRDA (Frontal Intermittent Rythmic Delta Activity), voire des éléments épileptiformes ou de véritables crises épileptiques [13].

Encéphalopathie et troubles ioniques

Les principaux troubles ioniques à l’origine d’une encéphalopathie sont les dysnatrémies (surtout l’hyponatrémie), l’hypo et l’hypercalcémie et l’hypomagnésémie. Là encore, les modifications de l’EEG sont généralement aspécifiques : ralentissement de l’activité de fond, surcharge d’ondes lentes, survenue d’ondes triphasiques, de LPDs. Peuvent également apparaître des anomalies pointues épileptiques, pouvant s’organiser en décharges critiques [11, 14, 15].
La sévérité des anomalies EEG est corrélée à la vitesse d’installation du trouble ionique, plus qu’à sa profondeur, et ces anomalies disparaissent après correction du trouble ionique.

Encéphalopathie et troubles endocriniens

L’hyperthyroïdie peut se manifester par une accélération de l’activité de fond, assez spécifique de ce type d’EMtb, et d’une sensibilité à la stimulation lumineuse intermittente [16].
La figure 2 montre un tracé EEG d’hyperthyroïdie.
Au contraire, l’hypothyroïdie s’accompagne d’activités lentes de bas voltage, pouvant aller jusqu’à un ralentissement marqué et l’apparition d’ondes triphasiques ou de pointes-ondes en cas de coma myxœdémateux.
L’hypo et l’hypercorticisme peuvent également être à l’origine d’un ralentissement de l’EEG avec une surcharge thêta et la survenue d’éléments triphasiques ou épileptiformes [11].

Figure 2 – Tracé EEG d’hyperthyroïdie.
Montage bipolaire, montrant des périodes d’accélération du rythme de fond à 15-16 Hz (voir encadré).

Encéphalopathies toxiques

Beaucoup de médicaments, et en particulier les psychotropes (inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, neuroleptiques, lithium, etc.), les antiépileptiques (valproate de sodium, gabapentine, topiramate), ou les antibiotiques (pénicillines, céphalosporines, carbapénèmes, quinolones), peuvent – surtout en cas de surdosage – conduire à des modifications de l’EEG aspécifiques : ralentissement, désorganisation, ondes triphasiques.
Il arrive que quelques médicaments soient parfois à l’origine d’une encéphalopathie avec des anomalies EEG plus spécifiques :
– les barbituriques et le propofol : activités rapides bêta pour des doses thérapeutiques. En cas d’administration à fortes doses ou de surdosage, survenue de bouffées d’ondes thêta, surchargées de rythmes rapides 10-16 Hz à prédominance antérieure ; puis d’activités delta diffuses ; jusqu’à un tracé de burst-suppression ou de suppression (silence électrique). La figure 3 montre un tracé EEG de burst-suppression induite par le thiopental ;
– le baclofène : tracé de burst-suppression, voire tracé isoélectrique aréactif dans les intoxications massives ;
– les benzodiazépines : activation de rythmes bêta frontaux (Fig. 4) ;
– le céfépime : activités pseudopériodiques ou pseudorythmiques d’ondes triphasiques prédominant dans les régions fronto-centrales, permanentes et aréactives [17] (Fig. 5).

Figure 3 – Burst-suppression induite par le thiopental.
Tracé EEG en montage bipolaire. Figure 4 – Rythmes bêta rapides induits par les benzodiazépines.
EEG en montage bipolaire.

Figure 5 – Encéphalopathie au céfépime.
Tracé en montage bipolaire montrant des activités pseudopériodiques d’ondes triphasiques prédominant dans les régions fronto-centrales.

Différences état de mal épileptique/encéphalopathie métabolique

Lors des EMtb, l’EEG est également un outil indispensable pour rechercher un état de mal épileptique infra-clinique, complication fréquente dans ce contexte.
Si la survenue de crises électriques est parfois difficile à mettre en évidence sur un EEG, un tracé d’EMtb peut inversement être interprété à tort comme un tracé critique et conduire à l’introduction de traitements antiépileptiques, potentiellement délétères dans un contexte d’encéphalopathie. Par exemple, l’administration de benzodiazépines chez un patient avec une encéphalopathie hépatique pourrait majorer les troubles de la conscience par intoxication aux benzodiazépines.
En effet, en raison de leur caractère aigu, voire pointu, les ondes lentes et les ondes triphasiques peuvent être prises pour des anomalies épileptiques. Le caractère soutenu, en bouffées, de ces éléments peut également revêtir un aspect pseudo-rythmique et faire envisager une origine épileptique. Enfin, lorsque l’encéphalopathie est profonde, la réactivité aux stimulations peut être absente. Il est donc important de rechercher des éléments discriminants pour faire la différence entre EMtb et crise d’épilepsie [18, 19].
Contrairement aux crises épileptiques, il n’y a pas d’organisation spatio-temporelle, et pas de rythmicité des anomalies EEG dans l’EMtb. Il existe généralement une réactivité aux stimulations, bien que celle-ci puisse être inconstante, voire absente, dans des formes d’encéphalopathie très sévère. La figure 6 rappelle les principales différences électro-encéphalographiques entre l’EMtb et la crise d’épilepsie.

Figure 6 – Comparaison entre un tracé EEG d’encéphalopathie hépatique (A), et un tracé d’état de mal épileptique focal (B).
Deux enregistrements, en montage bipolaire. Les deux encadrés rappellent les principales caractéristiques des deux tracés EEG. La flèche montre une onde triphasique typique, la ligne pleine une stimulation auditive.

Pour conclure, l’EMtb est fréquente ; l’EEG est l’outil de choix pour la mettre en évidence et surveiller son évolution, souvent favorable après résolution du trouble métabolique sous-jacent, ou arrêt du traitement incriminé. Il est aussi indispensable pour authentifier ou éliminer un état de mal épileptique associé.

Clémence Marois et Virginie Lambrecq déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt. Nicolas Weiss déclare avoir des activités de consultant pour les sociétés MedDay pharmaceuticals et Owkin.

Correspondance
clemence.marois@aphp.fr

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