L'expertise scientifique

Électroencéphalographie en psychiatrie

EEG et psychiatrie

L’électroencéphalographie est liée à la psychiatrie depuis sa création et s’est très tôt implantée comme technique d’exploration dans les hôpitaux psychiatriques universitaires [1-3]. Le pourcentage d’EEG demandés en psychiatrie varie suivant les études entre 3 et 25 % des patients adultes admis dans un service hospitalier de psychiatrie [4]. Le taux de tracés anormaux est en moyenne entre 20 et 25 %, mais tombe à environ 10 % si l’on prend le soin de retirer les tracés modifiés du fait des thérapeutiques ou des rythmes inhabituels, mais non pathologiques [5]. Dans la plupart des cas, les anomalies EEG révèlent des atteintes cérébrales que l’analyse sémiologique clinique permettait déjà de suspecter et l’EEG ne serait utile pour réorienter de manière décisive l’hypothèse diagnostique en psychiatrie que dans 1 à 2 % des cas [5].

EEG et démarche diagnostique en psychiatrie

L’intérêt de l’EEG pour confirmer un diagnostic de trouble mental est quasiment nul, en dehors de la vidéo-EEG dans le cadre du diagnostic positif des crises non épileptiques psychogènes (CNEP) [6]. Pourtant, l’apport de l’EEG pour le diagnostic en psychiatrie a été largement discuté : dans le cadre d’un modèle phénotypique en lien avec une approche clinique catégorielle, suivant la supposition que certains rythmes associés inhabituels, mais non pathologiques, seraient associés à certaines catégories de troubles mentaux [7] ; dans le cadre d’un modèle dimensionnel en lien avec l’éveil, consistant à interpréter l’EEG comme un reflet de la régulation de l’éveil appelée
« rigide » ou « labile » [8]. Cependant, le niveau de preuve de ces approches reste extrêmement faible.
L’EEG en psychiatrie s’inscrit surtout dans une démarche de diagnostic différentiel, dans l’évaluation d’une perte de connaissance ou d’une altération rapide ou brutale de la conscience, d’un déficit cognitif et d’un syndrome confusionnel ou démentiel. L’EEG, accompagné de la description clinique précise, est alors d’une aide importante pour confirmer un diagnostic de crise épileptique ou d’épilepsie, de démence, d’encéphalite [9].

Crise épileptique et épilepsie

Crise épileptique et épilepsie constituent un diagnostic différentiel psychiatrique majeur du fait de :
• l’aspect psychiatrique que peuvent prendre les manifestations des crises épileptiques focales et certains syndromes post-critiques d’épilepsies [10] ;
• la psychose post-ictale survenant lors des phases de recrudescence du nombre de crises d’épilepsie chez un patient souffrant d’épilepsie sévère pharmacorésistante [10] ;
• l’aspect convulsif des manifestations de CNEP [11, 12].

Démences

Les syndromes démentiels débutants constituent un diagnostic différentiel d’épisodes dépressifs caractérisés chez des personnes âgées. La demande d’un EEG dans le contexte des démences doit tenir compte du cours évolutif, qui détermine bien souvent les délais d’apparition des anomalies. L’EEG des personnes âgées souffrant d’un épisode dépressif caractérisé, en l’absence de comorbidités neurologiques, ne présente pas d’anomalies.

Encéphalites

L’EEG garde une place incontournable dans l’encéphalite infectieuse (notamment herpétique) ou auto-immune dont la symptomatologie est souvent d’allure psychiatrique. L’EEG doit être réalisé en urgence dès lors que le diagnostic est suspecté et permet de mettre en évidence précocement des anomalies temporales.

EEG et démarche thérapeutique en psychiatrie

La plupart des thérapeutiques utilisées en psychiatrie peut entraîner des modifications de rythme de fond EEG et des activités paroxystiques, qui ne doivent pas conduire automatiquement à conclure à la mauvaise tolérance du traitement ni à son arrêt systématique. Elles pourraient même être associées à une meilleure réponse thérapeutique, et Fink a proposé de privilégier le terme de « modifications EEG » à celui « d’anomalies EEG » [13].
L’EEG peut être utile pour les thérapeutiques à marge étroite (en particulier lithium, clozapine, électro-convulsivothérapie – ECT). Dans ces situations, la réalisation d’un EEG conventionnel pré-thérapeutique est souvent demandé par les psychiatres, et peut permettre d’avoir un « tracé EEG de base ». Celui-ci peut être comparé aux éventuels tracés réalisés dans le suivi des effets secondaires cognitifs de la prise en charge thérapeutique. Un suivi électro-clinique permet alors de guider et de surveiller la démarche thérapeutique. Les modifications EEG sont, en l’absence d’anomalies cliniques associées, à tolérer. Mais en cas d’association à des signes de mauvaise tolérance cognitive du traitement, ces modifications EEG sont un argument supplémentaire pour ajuster le traitement, et envisager un bilan étiologique neurologique si les anomalies persistent.

Psychotropes

Le lithium et les antipsychotiques peuvent modifier le rythme de fond EEG et induire des paroxysmes. La quantité de paroxysmes est fonction du type d’antipsychotiques : elle est plus grande avec la clozapine et l’olanzapine [13]. En cas d’activités paroxystiques épileptiformes nombreuses sans crise clinique enregistrée pendant l’EEG, l’évaluation clinique de manifestations de crise doit être effectuée rigoureusement. Mais, en pratique, l’expression clinique de ces modifications EEG est rare, sauf pour la clozapine, qui entraînerait des crises épileptiques dans 5 % des cas lorsque la posologie est comprise entre 600 et 900 mg/j. Les crises semblent surtout corrélées à son taux sérique.

Électro-convulsivothérapie

L’ECT reste une thérapeutique de choix en psychiatrie. L’ECT est une méthode d’électrophysiologie
interventionnelle consistant à appliquer une stimulation électrique afin d’induire une crise épileptique qui présente des caractéristiques spécifiques (en particulier du fait de la période de suppression post-ictale, Fig. 1) et ainsi obtenir un effet thérapeutique très bénéfique [14]. C’est une méthode qui nécessite le monitoring par un enregistrement EEG de deux voies en temps réel de la crise épileptique induite pendant la réalisation des séances. L’enregistrement EEG est déclenché automatiquement dès la fin de la stimulation électrique [14].
L’EEG conventionnel est utile en cas de suspicion de crise prolongée (voire d’état de mal épileptique) ou de syndrome confusionnel secondaire. Il faut souligner que les séances d’ECT sont possibles sous traitement antiépileptique, n’induisent pas de maladies épileptiques, ont tendance à augmenter le seuil épileptogène et peuvent réduire la fréquence des crises d’une épilepsie, voire être utilisées pour le traitement des états de mal épileptiques [15]. Entre les séances, l’EEG peut être modifié de manière importante. Ces anomalies sont fonction du nombre de séances d’ECT et sont plus marquées avec la stimulation bilatérale qu’unilatérale. L’interprétation de ces anomalies, réversibles en 1 à 3 mois après l’arrêt des ECT, comme pour le lithium ou la clozapine, est fonction de la clinique.

Figure 1 – Phases typiques d’une crise épileptique induite par une stimulation électrique dans le cadre d’une prise en charge d’électrophysiologie interventionnelle psychiatrique par électro-convulsivothérapie (ECT).

EEG et futur de la psychiatrie

Bien qu’il reste difficile de juger précisément de l’intérêt, en particulier médico-économique, de l’EEG dans la démarche diagnostique et thérapeutique en psychiatrie, il faut garder à l’esprit que l’EEG doit rester accessible aux patients souffrant de troubles mentaux dans le cadre de l’équité d’accès aux examens complémentaires pour une prise en charge médicale non psychiatrique. L’usage clinique de l’EEG reste important pour maintenir une démarche diagnostique et thérapeutique rigoureuse dans des indications médicales précises. Dans les contextes sémiologiques d’intrication neuropsychiatrique, il s’agit d’un examen qui demeure d’un grand intérêt clinique. Enfin, l’EEG reste en recherche psychiatrique un outil d’exploration psychophysiologique et neurocognitif des plus intéressants [16, 17].

L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt.

Correspondance 
jarthur.micoulaud@gmail.com

Bibliographie

1. Delay J. Les ondes cérébrales et la psychologie. Paris : PUF, 1942.
2. Morault P, Bourgeois ML, Paty J. Électrophysiologie cérébrale en psychiatrie. Paris : Masson, 1992.
3. Micoulaud-Franchi J.-A, Balzani C, Vion-Dury J. Électroencéphalographie conventionnelle et psychiatrie de l’adulte : aspects diagnostiques et thérapeutiques, Encyclopédie Médico-Chirurgicale – Psychiatrie : 37-151-C-10. Paris: Elsevier Masson SAS, 2013.
4. Hughes JR. A review of the usefulness of the standard EEG in psychiatry. Clin Electroencephalogr 1996 ; 27 : 35-9.
5. O’Sullivan SS, Mullins GM, Cassidy EM et al. The role of the standard EEG in clinical psychiatry. Hum Psychopharmacol 2006 ; 21 : 265-71.
6. Hingray C, Biberon J, El-Hage W et al. Psychogenic non-epileptic seizures (PNES). Rev Neurol 2016 ; 172 : 263-9.
7. Boutros N, Galderisi S, Pogarell O et al. Standard electroencephalography in clinical psychiatry: a practical handbook. Chichester, West Sussex ; Hoboken, NJ : Wiley-Blackwell ; 2011.
8. Ulrich G. Psychiatric electroencephalography. Jena-Stuttgart-New York : Gustav Fisher Verlag ; 1994.
9. Gueguen B, Olié J, Raffaitin F. Electroencéphalographie et psychiatrie. Encyclopédie Médico-Chirurgicale – Psychiatrie : 37-170-A-10. Paris: Elsevier Masson SAS, 1990.
10. de Toffol B. Troubles psychiatriques de l’épilepsie chez l’adulte. Encyclopédie Médico-Chirurgicale – Psychiatrie : 37-560-A-10. Paris: Elsevier Masson SAS, 2012.
11. Tarrada A, Hingray C, Sachdev P et al. Epileptic psychoses are underrecognized by French neurologists and psychiatrists. Epilepsy Behav 2019 ; 100 : 106528.
12. Rotge JY, Lambrecq V, Marchal C et al. Conversion disorder and coexisting nonepileptic seizures in patients with refractory seizures. Epilepsy Behav 2009 ; 16 : 350-2.
13. Fink M. EEG changes with antipsychotic drugs. Am J Psychiatry 2002 ; 159 : 1439.
14. Micoulaud-Franchi JA, Quilès C, Cermolacce M et al. Électroconvulsivothérapie et niveau de preuve : de la causalité à la relation dose-effet. Encephale 2016 ; 42 : S51-S59.
15. Lambrecq V, Villéga F, Marchal C et al. Refractory status epilepticus: electroconvulsive therapy as a possible therapeutic strategy. Seizure 2012 ; 21 : 661-4.
16. Timsit-Berthier M. [Interest of neurophysiological exploration in clinical psychiatry]. Neurophysiol Clin 2003 ; 33 : 67-77.
17. Dumas G, Kelso JA, Nadel J. Tackling the social cognition paradox through multi-scale approaches. Front Psychol 2014 ; 5 : 882.