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Sclérose en plaques et virus d’Epstein-Barr – Quel lien ?

Résumé
La sclérose en plaques (SEP) est une maladie inflammatoire démyélinisante médiée par les lymphocytes T et B et les cellules de l’immunité innée, qui met en jeu des facteurs de prédisposition génétique et des facteurs environnementaux. Une étude récente confirme une association forte entre l’infection par le virus Epstein-Barr (EBV) et la SEP avec un risque multiplié par un facteur 32 de développer la maladie dans les suites d’une séroconversion, dans un délai médian de 7,5 ans. L’EBV pourrait être impliqué à la fois dans les réponses immunitaires périphériques et centrales supposées à l’origine de la SEP.

Abstract: Link between multiple sclerosis and Epstein-Barr virus
Multiple sclerosis (MS) is an inflammatory demyelinating condition involving T and B cells and innate immune cells, that has a genetic susceptibility and that requires environmental factors. A recent study has confirmed a strong association between infection with Epstein Barr Virus (EBV) and MS. Indeed, the hazard of developing MS was 32-fold higher in case of seroconversion with a median time of 7.5 years between seroconversion and symptoms onset. EBV may contribute to both peripherally mediated inflammation and inflammation within the central nervous system that are supposedly underlying MS.

Implications du système immunitaire dans la SEP

La SEP a longtemps été considérée comme une maladie auto-immune médiée par les lymphocytes T. Cependant, le rôle des lymphocytes B se traduit par leur présence dans le système nerveux central (SNC) : bandes oligoclonales dans le LCR, dépôts d’IgG au sein de certaines lésions de SEP, follicules méningés ; et par l’efficacité drastique des traitements comme les anti-CD20 ciblant cette population. La physiopathologie de la SEP repose ainsi sur des interactions clés entre les lymphocytes T et B et notamment leurs sous-populations mémoires, avec une réciprocité d’activation. Par ailleurs, on retrouve également une activation des cellules de l’immunité innée au sein du SNC, notamment dans les espaces méningés.

Origine périphérique ou centrale ?

Différentes théories cohabitent sur l’origine de la maladie, la plus classique étant une origine extrinsèque au SNC via l’activation périphérique de lymphocytes T par un stimulus antigénique ou infectieux, qui pénètrent ensuite dans le SNC, prolifèrent et libèrent des cytokines pro-inflammatoires, conduisant à une dégradation de la gaine de myéline. Alors que l’on pensait impossible l’initiation d’une réponse immune directement au sein du SNC, il a été montré que les cellules T mémoires résidentes circulent au sein du LCR à la faveur d’une « surveillance immune » intrinsèque au SNC et que celles-ci pourraient être activées directement par les cellules de l’immunité innée.

Épidémiologie de la SEP

La SEP est une maladie à prépondérance féminine, et suit un gradient géographique nord-sud dans l’hémisphère Nord. Son incidence est plus importante dans les pays aux niveaux socio-économiques plus élevés, de façon concordante avec la théorie hygiéniste selon laquelle une exposition réduite aux infections dans l’enfance prédispose au développement de pathologies dysimmunes.

Facteurs génétiques et environnementaux

Il est communément admis que la SEP est une maladie multifactorielle : un ensemble de facteurs génétiques et environnementaux ont été identifiés comme facteurs de prédisposition, déclenchant ou modifiant l’évolution de la maladie. Parmi les facteurs de prédisposition génétique, on retrouve certains allèles du complexe majeur d’histocompatibilité, notamment l’haplotype HLA DRB1*15:01. Une large revue en 2015 a repris les données épidémiologiques d’une vingtaine d’études et méta-analyses et a permis de mettre en évidence, parmi 44 facteurs étudiés, trois facteurs environnementaux ayant une association forte avec la SEP : la séropositivité pour le virus Epstein-Barr (EBV), la mononucléose infectieuse (MNI) et le tabagisme. Parmi les autres facteurs souvent mis en cause, on peut citer la carence en vitamine D, le faible ensoleillement ou encore l’obésité [1].

Un candidat : l’EBV

L’EBV est un virus humain de la famille des Herpesviridae. Sa transmission se fait par voie salivaire, puis le virus infiltre les cellules épithéliales pharyngées. L’infection par l’EBV est le plus souvent asymptomatique chez le jeune enfant, mais peut se manifester chez l’adolescent ou le jeune adulte par une MNI. On estime que 95 % de la population adulte mondiale est infectée par l’EBV. Dans tous les cas, l’EBV a un tropisme important pour les lymphocytes B et ses propriétés intrinsèques lui permettent de persister à long terme de façon quiescente dans le pool de cellules B mémoires circulantes.

Un contrôle défectueux de l’EBV est associé à certains cancers (maladie de Hodgkin, lymphome de Burkitt, cancer gastrique, carcinome nasopharyngé et autres lymphomes en association avec le VIH). En dehors de la SEP, l’EBV est associé à un risque plus important de certaines pathologies auto-immunes comme le lupus, la polyarthrite rhumatoïde et le syndrome de Gougerot-Sjögren.

SEP et EBV

Le lien potentiel entre ce virus et la SEP est connu depuis une vingtaine d’années, mais n’est pas aisé à établir du fait de la prévalence de l’infection. De nombreuses études ont évalué cette association et ont montré un risque de développer une SEP :
- deux fois plus élevé chez les patients ayant un antécédent de MNI [2],
- 15 fois plus élevé chez les patients ayant une sérologie positive [3],
- 30 fois plus élevé en cas de titre élevé d’IgG dirigés contre les antigènes nucléaires de l’EBV (IgG anti-EBNA) [4].

Le lien entre EBV et SEP repose également sur la présence controversée d’EBV dans les lésions de SEP. En effet, une étude anatomopathologique a montré la présence d’EBV dans le cerveau de patients SEP en post-mortem [5], mais ces résultats n’ont pas été reproduits dans des études ultérieures malgré l’utilisation de techniques similaires.

Données récentes : un risque de SEP multiplié par 32 en cas de séroconversion

En début d’année, la revue Science a publié une étude américaine portant sur une cohorte de plus de 10 millions de militaires américains ayant bénéficié de prélèvements sanguins tous les 2 ans dans le cadre de dépistages sérologiques systématiques, sur 20 ans [6]. L’analyse de ces échantillons a été réalisée chez 801 des 955 patients ayant développé une SEP au cours du suivi et chez 1 566 contrôles appariés sur l’âge, le sexe, la branche de l’armée et la date de collecte des échantillons sérologiques.

Parmi les 801 patients SEP testés, seul un patient était négatif sur le dernier prélèvement, soit un risque de SEP multiplié par 26 en cas de sérologie positive (HR = 26,5 ; IC95% : 3,7-191,6 ; p = 0,001) (Fig. 1).
Parmi les 35 patients SEP qui étaient négatifs pour l’EBV sur le premier prélèvement, 34 ont été infectés au cours du suivi et avant l’apparition des symptômes neurologiques, soit un taux de séroconversion de 97 % contre 57 % chez les contrôles (Fig. 2).
Le risque de SEP était multiplié par 32 chez les sujets ayant une séroconversion EBV par rapport à ceux restés négatifs (HR = 32,4 ; IC95% : 4,3-245,3 ; p < 0,001) (Fig. 1).

Figure 1 – Risque de développer une SEP en fonction de la sérologie EBV (négative, positive, séroconversion). D’après [7].

Figure 2 – Taux de séroconversion EBV chez les patients SEP (vert) par rapport aux témoins (bleu). D’après [7].

Spécificité de l’association EBV-SEP et relation temporelle

Afin d’affirmer que cette association ne reflète pas une prédisposition commune au développement d’une SEP et d’infections, les auteurs ont étudié les taux de séroconversion pour le cytomégalovirus (CMV), qui se transmet de façon similaire à l’EBV : celui-ci était comparable chez les patients ayant développé une SEP et chez les contrôles. Des tests supplémentaires ont également été réalisés chez 30 patients et 30 contrôles pour étudier la réponse immunologique à environ 200 virus. Ces tests ont montré des réponses similaires dans les deux groupes, à l’exception de l’EBV.

Les auteurs ont également observé chez les patients SEP initialement séronégatifs pour l’EBV une élévation des concentrations sériques de neurofilaments à chaîne légère (NfL) survenant après la séroconversion. Le taux sérique de NfL a été identifié comme biomarqueur d’intérêt chez les patients SEP, son élévation permettant de différencier les patients SEP des sujets sains, et étant corrélée aux poussées et au handicap. Cette donnée suppose donc que l’infection par l’EBV précéderait les mécanismes physiopathologiques à l’origine de la SEP, bien que l’élévation des NfL, témoignant d’une dégénérescence neuro-axonale, ne soit pas spécifique de cette pathologie. Une première étude longitudinale portant sur 8 millions de militaires avait déjà mis en évidence que la séroconversion chez les patients développant une SEP survenait avant l’apparition des premiers symptômes [7].

Quel mode d’action pour l’EBV dans la SEP ?

Plusieurs hypothèses sont avancées concernant les mécanismes potentiels reliant l’infection par l’EBV et la SEP [8].

En périphérie

En périphérie, l’EBV pourrait être responsable d’une activation et d’une migration dans le SNC de lymphocytes T dirigés contre des antigènes myéliniques par mimétisme moléculaire. L’EBV pourrait induire préférentiellement des réponses cytokiniques pro-inflammatoires par les lymphocytes B et interférer avec la fonction régulatrice de l’IL-10, favorisant ainsi la migration des cellules T autoréactives et des lymphocytes B vers le SNC.

Au sein du SNC

Au sein du SNC, l’EBV pourrait entraîner une réponse antivirale dirigée contre les cellules infectées du SNC, responsable d’une réaction inflammatoire. Une autre hypothèse repose sur l’existence d’une déficience des lymphocytes T CD8 à contrôler l’infection chez des hôtes susceptibles. Il en résulterait une prolifération et une survie des lymphocytes B infectés, puis leur accumulation dans les structures lymphoïdes du SNC, entraînant ainsi une exposition prolongée aux antigènes myéliniques, une interaction avec les cellules T autoréactives, conduisant à l’inflammation.

EBV et traitements

Le mode d’action de certains traitements actuellement utilisés dans la SEP pourrait reposer en partie sur une action sur l’EBV, à l’instar de la déplétion des lymphocytes B infectés et d’une diminution de la réponse cellulaire contre l’EBV chez les patients traités par ocrélizumab [9].

Conclusion

L’EBV est à ce jour le facteur environnemental ayant l’association la plus forte avec la SEP. Toutefois, sa présence n’est pas suffisante au développement de la maladie, et le rôle des facteurs de susceptibilité génétique et des autres facteurs environnementaux reste à définir.
Certaines zones d’ombre persistent, à commencer par le long délai, de 7 ans et demi en moyenne, entre la séroconversion et l’apparition des symptômes.
La compréhension des mécanismes physiopathologiques ouvre l’espoir d’une thérapeutique efficace dirigée contre ce virus : vaccination, thérapie ciblée contre les protéines virales, inhibiteurs de checkpoint…

L’auteur déclare avoir des liens d’intérêts avec Biogen, Merck et Alexion.

Correspondance :
Dr Marine Boudot de la Motte
Hôpital Fondation Adolphe de Rothschild
Service de neurologie du Dr Gout
29, rue Manin 75019 Paris
mboudotdelamotte@for.paris

Bibliographie

1. Belbasis L, Bellou V, Evangelou E et al. Environmental risk factors and multiple sclerosis: an umbrella review of systematic reviews and meta-analyses. Lancet Neurol 2015 ; 14 : 263–73.
2. Thacker EL, Mirzaei F, Ascherio A. Infectious mononucleosis and risk for multiple sclerosis: a meta-analysis. Ann Neurol 2006 ; 59 : 499–503.
3. Simon KC, O’Reilly EJ, Munger KL et al. Epstein-Barr virus neutralizing antibody levels and risk of multiple sclerosis. Mult Scler 2012 ; 18 : 1185–7.
4. Ascherio A. Environmental factors in multiple sclerosis. Expert Rev Neurother 2013 ; 13 : 3–9.
5. Serafini B, Rosicarelli B, Franciotta D et al. Dysregulated Epstein-Barr virus infection in the multiple sclerosis brain. J Exp Med 2007 ; 204 : 2899-912.
6. Levin LI, Munger KL, O’Reilly EJ et al. Primary infection with the Epstein-Barr virus and risk of multiple sclerosis. Ann Neurol 2010 ; 67 : 824–30.
7. Bjornevik K, Cortese M, Healy BC et al. Longitudinal analysis reveals high prevalence of Epstein-Barr virus associated with multiple sclerosis. Science 2022 ; 375 : 296-301.
8. Bar-Or A, Pender MP, Khanna R et al. Epstein-Barr Virus in Multiple Sclerosis: Theory and Emerging Immunotherapies. Trends Mol Med 2020 ; 26 : 296-310.
9. Pham HPT, Gupta R, Lindsey JW. The cellular immune response against Epstein-Barr virus decreases during ocrelizumab treatment. Mult Scler Relat Disord 2021 ; 56 : 103282.